Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/499

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Marat est à la Convention. La multitude, quand elle couronne l’un de lauriers, ne pourra souffrir que l’autre soit dans les chaînes. Il y a quelques jours, les gens raisonnables, les sages et bons amis de la liberté, prenaient le dessus dans les sections ; depuis ces arrestations les hommes violents, les furieux ont repris leurs emportements et leur ascendant. Je trouve, autant que personne, nécessaire que force reste à la loi ; mais pour que force reste à la loi, il faut que la loi commence par avoir la force. Vous l’avez donnée à la Commune ; retirez-la lui donc si vous ne voulez pas que force, au lieu de rester à la loi, reste à la Commune. Nous avons accoutumé les esprits à l’idée d’une liberté illimitée de la presse ; nous avons ri à l’Assemblée constituante quand le peuple a été invité par son ami à pendre huit cents d’entre nous aux arbres des Tuileries, et tout à coup, lorsque nous n’avons aucune bonne loi sur cet objet, sur lequel nous avons débité cent folies, vous arrêtez un homme, parce que cet homme a imprimé une feuille qui n’est pas plus atroce que cent autres dont les atrocités nous ont fait plus rire qu’elles ne nous ont fait horreur. Avant de faire de grands actes de gouvernement, il faut avoir un gouvernement, et ce moment, où vous êtes en majorité, serait mieux employé, ce me semble, à organiser en silence, et sans jeter l’alarme dans le camp ennemi, la puissance exécutrice avec laquelle vous mettrez au pied de la loi ou sous ses pieds tous les brouillons et tous les scélérats. »

Au fond, le plan suggéré à Rabaut de Saint-Étienne par Garat était aussi vain, aussi dangereux que la politique même de la Gironde. C’est l’écho des rapports de Dutard dont il est curieux de retrouver toutes les idées, et presque les expressions dans les propos du ministre de l’Intérieur. C’est Dutard qui démontrait l’impossibilité pour la Gironde de procéder par un coup de force. C’est lui qui signalait le péril de laisser à la Commune toute la force armée. C’est lui qui conseillait de lui retirer peu à peu le pouvoir, « de lui rogner les griffes » sans coup d’éclat, sans violence. Mais tous, le policier philosophe, le ministre hésitant et faible, tous ils oublient, comme la Gironde elle-même, que la Révolution est en plein combat contre l’ennemi du dehors et contre l’ennemi du dedans, contre la coalition de l’Europe et contre le fanatisme de l’Ouest. Or, pour qu’elle soit victorieuse, il ne suffit point qu’il n’y ait pas conflit violent entre les divers partis révolutionnaires, il faut que le gouvernement de la Révolution, tel que les événements l’ont fait, avec sa Convention, sa Commune, ses sections, puisse donner de tout son effort contre le danger. Et s’il est miné sourdement, si en pleine crise, en pleine guerre extérieure et intérieure, on s’applique subtilement à désarmer peu à peu les autorités constituées, à créer une sorte de gouvernement d’abord latent, qui s’opposera ensuite au gouvernement soi-disant anarchique que l’on redoute, ce sera l’atonie, la contrariété profonde des énergies, et je ne sais quelle paralysie universelle. Moins dangereuse encore était la tentative de la Gironde pour ressaisir tout le pouvoir que les combinaisons occultes et