Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/504

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sang, et l’ordre se rétablirait peu à peu, car la Montagne ne menaçait ni les existences ni les propriétés.

Qui sait ce qui serait advenu si Garat, ministre de l’Intérieur, avait eu assez de clairvoyance et assez de fermeté pour tenir ce langage honnête et clair ? Mais il tergiversa, il manœuvra, et il acheva de dissoudre ce qui restait de force de résistance à la Gironde sans la décider toutefois à un grand acte politique d’abdication. Il essaie dans ses Mémoires d’excuser l’incertitude de son langage. Il dit :

« Ce n’était pas à un ministre à dire, sans aucun voile, qu’il fallait réformer l’organisation de la Commune ; on eût cru qu’il attentait aux droits du peuple et de l’homme, et pour paraître un agent de la tyrannie il n’aurait pas même eu besoin du nom de ministre.

« Ce n’était pas à un ministre de dire sans aucun ménagement à la Convention : Ce sont vos propres décrets qui ont élevé auprès de vous ce colosse qui vous menace. »

On n’avoue pas plus naïvement la peur des responsabilités. C’était au contraire à un ministre à tenir un langage net, dans un sens ou dans l’autre ; à cette heure tragique et trouble où l’air de la cité était, en quelque sorte, dans l’attente du tocsin, il fallait parler haut et clair. Ou contre la Commune et à fond. Ou pour la Commune et à fond. Tout valait mieux que le fatal équilibre de deux partis qui ne parvenaient ni à s’unir ni à se vaincre. Or, pour décider les esprits à un choix décisif, à une résolution vigoureuse, il fallait les mettre en face du danger. Il rassure au contraire les partis par de trompeuses douceurs, par des interprétations atténuées.

« J’ai instruit le Comité de salut public et la Commission extraordinaire de ce qui est parvenu à ma connaissance. Aujourd’hui, à six heures, on est venu m’avertir qu’il y avait un grand rassemblement autour de la Convention, j’ai voulu voir les choses de mes propres yeux. La force armée était plus considérable que l’attroupement. Je n’ai pas pu, il est vrai, entrer à l’Assemblée par la porte à laquelle je me suis d’abord présenté, et la force armée a été impuissante à m’ouvrir un passage. Mais dans tout cela il n’y a rien de grave ; la Convention n’a rien à craindre. »

Les tribunes qui comprennent avec un merveilleux instinct révolutionnaire combien l’optimisme du ministre désagrège la Gironde et sert le mouvement, applaudissent Garat. Il prend acte de ces applaudissements avec une sorte de candeur, qui si elle n’est point l’extrême sottise est l’extrême fourberie, à moins qu’elle ne soit un mélange de l’une et de l’autre. « Croyez-vous que ces sans-culottes qui applaudissent aux assurances que je donne de leurs sentiments, y applaudiraient s’ils avaient dans leurs cœurs des intentions criminelles ! »

Par toutes ses paroles Garat irrita et blessa le côté droit, et en effet, par le désaveu de l’arrestation d’Hébert, par le jugement sévère porté sur la