Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/508

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prolongeant la séance, à pousser son avantage jusqu’au bout, à arracher à la Convention un vote qui brise la Commission des Douze. Isnard, qui avait plus de rhétorique que de vigueur, quitte le fauteuil de la présidence comme si, à cette heure de crise, dans cette soirée tragique où le peuple envahissait peu à peu l’Assemblée et où l’ombre de la proscription et de la mort semblait descendre avec la nuit sur la Gironde désemparée et submergée, il n’aurait pas dû faire l’effort physique de présider jusqu’au bout, dût-il défaillir à son poste. Aussi funeste à son parti et à ses amis par sa faiblesse dans l’action que par l’imprudence provocatrice de ses mots à effet, il appelle pour le remplacer le Girondin Boyer-Fonfrède. Celui-ci, étant de la Commission des Douze, est vivement interpellé ; l’état-major girondin sentant que la bataille fléchit, veut lever la séance. Boyer-Fonfrède abandonne le fauteuil, mais la Montagne impose la continuation du combat, et c’est un des siens, Hérault de Séchelles, qui prend possession du fauteuil. Désormais, sous les flots des délégations hostiles, la Gironde va être noyée. Les sections de Paris qui attendaient depuis trois heures entrent enfin ; elles demandent Hébert « leur ami, leur frère » et le président leur répond : « Citoyens, la force de la raison et la force du peuple se confondent ; vous venez en ce moment réclamer la justice, c’est le plus sacré de nos devoirs de vous la rendre. » C’était comme la consécration officielle de l’insurrection. Les Gravilliers, la Croix-Rouge insistent :

« Citoyens représentants, dit l’orateur des Gravilliers, en 1789 le peuple de Paris gémissait dans l’oppression, il prit la Bastille. En 1792, un roi parjure fit massacrer les citoyens sous les fenêtres de son palais : les assassins périrent. En 1793, un nouveau despotisme plus terrible que les deux autres, une Commission inquisitoriale s’élève sur les débris de la monarchie. Les patriotes sont incarcérés, les scènes sanglantes du 17 juillet (la fusillade du Champ de Mars en 91) se préparent.

« La République est sur le point d’être anéantie. La section des Gravilliers vient vous déclarer, par ses commissaires, qu’elle n’a pas fait en vain le serment de vivre libre ou de mourir. Vous avez reconnu le principe sacré de la résistance à l’oppression. Malheur aux traîtres qui, gorgés d’or et affamés de puissance, nous préparent des fers ! »

Ces accusations véhémentes perçaient les murmures de la Gironde, la rumeur grandissante du peuple qui des couloirs pénétrait peu à peu dans la salle même, et elles étaient comme répercutées par la Montagne en un violent écho d’acclamations enthousiastes. C’était comme le pacte d’une troisième insurrection qui se nouait, en pleine Assemblée, entre le peuple de Paris et les Montagnards.

La section des Gravilliers, comme si déjà la Convention était réduite à la Montagne, ne s’adresse, en finissant, qu’à celle-ci :