Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/571

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« se mêlèrent fraternellement », selon le mot du Moniteur, au côté gauche de l’assemblée : ils allèrent, en quelque sorte, siéger à la Montagne parmi ceux qui comprenaient le péril de la patrie. La droite protesta, déclarant que la Convention, ainsi envahie de pétitionnaires, n’était pas libre.

« Citoyens, s’écria alors Levasseur parlant aux Montagnards, faisons cesser ces clameurs ; passons de ce côté (montrant le côté droit) pour éviter toute confusion ; nos places seront bien gardées par les pétitionnaires. « Ma motion, raconte Levasseur, accueillie avec une sorte d’enthousiasme par mes collègues, fut aussitôt exécutée, et nous allâmes nous asseoir sur les bancs jusqu’alors occupés par les Girondins, aux acclamations réitérées des pétitionnaires et des tribunes. »

Cependant, Robespierre avait la parole. La Convention était comme secouée par une grande houle. Les Girondins, qui naguère, croyaient tenir la journée, pressentaient qu’elle allait leur échapper. N’allaient-ils pas sombrer comme au soir du 27 mai, dans le chaos effervescent où députés et pétitionnaires se mêlaient ? même le mouvement qui avait précipité les Montagnards sur les bancs de la Gironde inquiétait celle-ci : c’était comme un torrent qui venait noyer la Plaine. Vergniaud tenta un effort presque désespéré. Il tenta d’appeler de la Convention à moitié envahie au peuple lui-même, au grand peuple expectant et bénin qui couvrait les rues et les places de son immobilité.

« Sortons, s’écria-t-il, et allons nous mettre sous la protection de la force armée. »

C’était continuer la tactique qui, tout à l’heure, lui faisait proclamer que les sections avaient bien mérité de la patrie : la tactique ou l’illusion. C’était se réfugier au sein de Paris contre ceux qui prétendaient parler en son nom. C’était rétablir la communication longtemps interrompue de la Gironde et du peuple. Quelques députés seulement le suivirent. La Montagne affecta de dédaigner la manœuvre : elle restait avec la Convention. Au besoin si les éléments incertains s’en allaient comme à la dérive, elle resterait, elle seule, la Convention, à la fois assise de roc et sommet. Quant à la Gironde, elle fut surprise plus qu’entraînée par la démarche de Vergniaud. Au fond, elle sentait bien qu’elle ne saurait que dire au peuple, qu’elle avait perdu l’habitude de se confier à lui ; et comment l’improvisation hasardeuse d’un noble orateur qui tente de convertir en une démarche réelle un pur mouvement d’éloquence, pourrait-elle suppléer à la confiance interrompue ? Si Vergniaud eût été accueilli par la force armée des sections, qu’en eût-il fait ? Serait-il rentré avec elle à la Convention pour balayer les pétitionnaires mêlés à la Montagne ? C’était le coup d’État de Lafayette et de Dumouriez ; tout cela, les Girondins en eurent l’impression confuse et rapide ; et ils ne bougèrent pas. D’ailleurs, enveloppés comme ils l’étaient de leurs collègues de la Montagne accumulés maintenant au côté droit, mêlés et confondus en eux, comment auraient-ils pu se dégager d’un geste brusque et accompagner Vergniaud ? Peut-être aussi