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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/584

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poursuivre et ces dictateurs et les vingt-deux députés indignes de la confiance du peuple, et je pense que le peuple ne doit pas cesser d’être debout tant que les vingt-deux n’auront pas porté la peine due à leurs crimes. »

Mais voici le dur et soupçonneux Billaud-Varennes. Il dit âprement son mécompte ; il accuse presque de faiblesse ou tout au moins d’illusion la Montagne qui n’a pas poussé sa victoire, et comme si son esprit inquiet cherchait de tous côtés des périls et des ombrages, en même temps qu’il appelle au combat contre la Gironde, il dénonce aux Jacobins un mot imprudent de Marat :

« J’arrive de la Convention ; la séance vient de se lever. On a décrété le projet qui avait été proposé par le Comité de salut public ; la Montagne, qui a lutté toute la journée, s’est contentée de ce triomphe (la cassation des Douze). Moi je pense, d’après l’audace des conspirateurs, que la patrie n’est pas sauvée. Certes, il y avait de grandes mesures de salut public à prendre, et c’est aujourd’hui qu’il fallait porter les derniers coups à la faction. Je ne conçois pas comment les patriotes ont pu quitter leur poste sans avoir décrété d’accusation les ministres Lebrun et Clavière. C’est contre les contre-révolutionnaires du côté droit qu’est dirigée l’insurrection ; elle ne doit conséquemment cesser que quand ils seront tous anéantis. »

À s’arrêter à mi-chemin, on n’aura que la charge des événements sans le bénéfice. Les Girondins calomnieront tant qu’ils ne seront pas détruits, et la journée qui les menaça sans les frapper, va grossir leurs litanies calomnieuses.

« Ne nous dissimulons pas que le mouvement qui vient d’avoir lieu à Paris va tourner contre nous dans les départements. On a envoyé dans les départements des courriers extraordinaires pour annoncer qu’on égorgeait les députés. »

Et il ajoute soudain, comme pour accumuler les nuées sombres sur l’horizon et défier toutes les menaces de tyrannie en quelque point qu’elles se forment :

« Je déclare ici que j’ai entendu dire à un membre de la Montagne que le temps était venu où la nation devait se choisir un chef. Je déclare aux Jacobins, je déclare à l’univers que je ne veux courber ma tête sous aucun chef, et je demande que tout homme qui osera faire cette proposition soit puni dans les vingt-quatre heures. »

Billaud-Varennes craignait-il vraiment que Marat prétendît à la dictature ? Visiblement, c’est l’impuissance de cette journée anarchique et chaotique où la force du peuple avait flotté à l’aventure qui avait arraché à Marat, une fois de plus, son éternel refrain sur la nécessaire unité d’action.

Mais Billaud-Varennes revenait à l’objet immédiat de la lutte :

« J’ai entendu dire, conclut-il, à des hommes faibles que c’était une trop forte mesure d’arrêter trente-deux députés. Je déclare que nous ne devons