Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/602

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« Notre présence arrête le bras des canonniers qui avaient la mêche allumée. À ce moment, Hérault de Séchelles s’approche poliment de Henriot, et lui demande, de la part de la Convention, le sujet de ce mouvement militaire. Henriot lui répond qu’il vient au nom du peuple de Paris demander l’arrestation et l’éloignement de trente-deux députés qui mettent un obstacle journalier aux délibérations de l’assemblée et qui s’opposent au bien public. Pendant cette réponse, un aide de camp de Henriot, que j’ai vu s’approcher de Danton, lui parle à l’oreille ainsi qu’à Lacroix. J’ai entendu (ainsi qu’un de mes cousins, Hector B…, que le bruit des dangers avait fait accourir à côté de moi sur la place du Carrousel) : » — C’est bien cela, cela va bien », et Danton serre la main à l’aide de camp. Alors Hérault dit que l’assemblée voulait se séparer et que l’attroupement devait se dissiper. Marat survint, Marat cet atroce aide de camp de Danton ; il dit que l’assemblée, pour prouver que sa liberté n’était pas violée, n’avait qu’à se promener dans les Tuileries. Les députés allèrent en masse vers les différentes grilles ou issues ; ils les trouvèrent garnies des troupes de Henriot, ayant défense de laisser sortir personne. Marat était triomphant et souriait comme le tigre qui va tomber sur sa proie. Il força, par ses cris, les députés à rentrer dans la salle ; et, dès lors, la liberté publique fut perdue. »

Je ne relève point tous les traits contre-révolutionnaires par lesquels Barère, en ses Mémoires, cherchait à désarmer les haines de la réaction. Je ne discute pas non plus les jugements si sévères portés sur le rôle et le caractère de Robespierre, de Danton, de Marat. Il avait double raison pour les calomnier. Il cherchait à se dégager de leurs « excès » et il se justifiait en même temps d’avoir sacrifié ou laissé sacrifier les grands révolutionnaires. Mais, en vérité, que se proposait-il par cette sortie ? et qu’en attendait-il ? Voulait-il simplement que la Convention fît preuve de sa liberté ? Mais il fallait alors périr plutôt que de rentrer aux Tuileries et de se laisser clore dans un cercle de fer. Pensait-il que la Convention pourrait dissiper l’attroupement et ajourner ensuite le débat au lendemain pour délibérer hors de toute menace ? C’était exaspérer la Révolution en l’ajournant. C’était aggraver et sans doute ensanglanter la crise en la prolongeant.

Il semble, à quelques traits d’un récit de Marat, que Barère aurait voulu entraîner la Convention assez loin, jusqu’au Champ-de-Mars ; et de là peut-être elle se fût dispersée après avoir juré de ne pas permettre à la force insurrectionnelle de faire violence à ses décisions. Mais alors la Convention devenait, sans le vouloir, un centre de modérantisme contre-révolutionnaire. Marat avait eu bien plus de sens politique en refusant d’abord de s’associer à cette sortie ou inutile, ou funeste, et en ramenant ensuite la Convention.

« On demande le général à la barre ; il ne se trouve pas ; plusieurs officiers paraissent et déclarent que ce ne sont pas eux qui ont donné les consignes. Le trouble augmente : on va, on vient, on court de tous côtés, on dit