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LES IDÉES SOCIALES DE LA CONVENTION
ET LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE

La chute politique de la Gironde ne marque pas l’avènement d’un nouveau système d’idées. On peut dire qu’avant le 31 mai la théorie politique et sociale de la Convention était fixée dans ses grandes lignes. Toutes les idées avaient commencé à se manifester, et leur direction commune apparaissait. Il semble même que c’est en cette première période de la Convention que sa pensée est la plus abondante. D’abord, en ces premiers mois, malgré l’âpreté soudaine des luttes entre la Gironde et la Montagne, aucune ombre de Terreur ne flottait sur les intelligences. Aucune contrainte ne resserrait et ne refoulait les pensées. Tous les députés arrivaient ayant reçu de la France, non seulement le mandat de la sauver, mais le mandat de la renouveler par les lois et de la constituer.

Nul ne savait si la législature serait longue ; peut-être en quelques mois la grande œuvre, pour laquelle ils étaient tous délégués, serait accomplie. Ils se hâtaient donc tous de verser au trésor commun leurs idées, leurs systèmes, leurs rêves. Ils voulaient mettre quelque chose de leur esprit dans le vivant esprit révolutionnaire qui allait régénérer la patrie ; et sans doute aussi, malgré le désintéressement de ces heures nobles, ils n’étaient pas indifférents à la part de gloire individuelle qui rejaillirait sur eux de la grande création collective. Il y avait donc dans les esprits une sorte d’excitation sublime et joyeuse, hâte de se donner, de donner à la patrie et à la Révolution toute la substance de l’esprit.

Ainsi, de la fin de septembre 1792 à la fin de mai 1793, il y avait comme un vaste jaillissement de pensée. La riche conscience de la Convention était effervescente et prodigue, et de plus elle était entière. Elle n’avait subi encore aucune mutilation.

Les rivalités des partis n’avaient pas encore abouti aux scissions et aux exclusions irréparables : et tout en se haïssant déjà, les hommes de la Gironde et les hommes de la Montagne s’aidaient les uns les autres, et se suggéraient mutuellement d’audacieuses pensées. Ils voulaient rivaliser à qui aurait la conception la plus large et la plus forte de la vie républicaine et démocratique. Et quand ils opposaient idée à idée, système à système, ce n’était pas avec une sorte de prétention exclusive et intransigeante : chacun prenait