semble compter sur l’action décisive de quelques individus, ou même d’un individu s’il a une volonté forte. Que Coupé (de l’Oise), par exemple, comprenne les destins nouveaux, les possibilités nouvelles, qu’il oriente vers l’égalité de fait la Révolution, il peut être « le sauveur du monde ». Ce messianisme n’est-il pas l’extrême forme de l’esprit de secte ? Mais qu’on y prenne garde : si un individu peut, selon Babeuf, diriger les événements et les forces c’est à la condition de s’y mêler, de s’y dissimuler au besoin. Il faut d’abord que le communisme monte, même déguisé, sur le char de la Révolution ; et un jour, dans l’enivrement de la course toujours plus rapide, c’est lui qui prendra la direction. Babeuf s’applique à démontrer que le communisme, appelé alors par lui la loi agraire, est à la fois l’aboutissement nécessaire et la condition nécessaire de la Révolution ; qu’aucune des institutions politiques créées ou voulues par elle ne pourra fonctionner et produire son plein effet si elle ne tend pas à l’égalité de fait et ne s’y appuie pas.
Et pourquoi parle-t-il de loi agraire ? Pourquoi accepte-t-il ce mot suranné ? Pourquoi semble-t-il reculer en deçà des idées qu’il discutait avec Dubois de Fosseux, alors que les deux hommes prévoyaient non seulement l’appropriation commune du sol mais aussi celle des richesses industrielles ?
C’est que, malgré tout, la propriété foncière est encore la forme la plus importante de la propriété. C’est, en second lieu, parce que toute la législation de la Constituante sur les droits féodaux, sur la dîme, sur la vente des biens nationaux, posait le problème foncier, et que le communisme, impuissant encore à susciter lui-même les questions, ne peut que se loger dans celles que la Révolution suscite. C’est sans doute encore parce qu’il était politique et sage de ne pas heurter à la fois toutes les catégories de possédants. Babeuf se propose d’appliquer en grand à toute la Révolution la méthode d’interprétation qu’il applique à Coupé (de l’Oise) dont il appelle à soi et dont il façonne selon un type précis d’égalité sociale les tendances égalitaires à peine déterminées.
« L’événement de votre nomination, citoyen (la lettre est datée de Beauvais, 10 septembre 1791), n’est pas dans mon cercle visuel un petit événement. Je sens un besoin irrésistible de m’arrêter pour en calculer les suites.
« Je réfléchis sur ce qu’on peut attendre de celui qui a prêché à des sourds ces vérités mémorables, qui ont eu au moins l’effet de me convaincre que pour lui il en était rempli : qu’il fallait se pénétrer de ces grands principes sur lesquels la société est établie : — l’égalité primitive, l’intérêt général, la volonté commune qui décrète les lois, et la force de tous qui constitue la souveraineté.
« Frère, le précepte de la loi ancienne : aime ton prochain comme toi-même ; la sublime maxime du Christ : faites à autrui tout que vous voudriez qui vous fût fait ; la constitution de Lycurgue, les institutions les plus belles de la république romaine, je veux dire la loi agraire ; vos principes que je viens de retracer ; les miens que je vous ai consignés dans ma dernière lettre,