Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/770

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La Révolution venait de franchir un dangereux défilé. Mais quoi ! le péril est-il vraiment conjuré, et l’autorité nécessaire de la Convention, centralisant la France révolutionnaire, et du Comité du Salut public, centralisant la Convention, n’est-elle pas minée par des influences plus subtiles, plus souterraines, plus dangereuses ? Dès juin et juillet, Robespierre surveille avec inquiétude les pensées à peine avouées encore et les projets d’Hébert. Oh ! celui-ci est très prudent et très sage ! Prudence, union : qui pourrait se méfier de lui ? Il protégeait tout à l’heure les bons marchands de Paris contre les entreprises et les prédications des forcenés. Même aux « monopoleurs », auxquels il ne peut point se dispenser de parler d’un ton de menace, que demande-t-il, en somme ? d’être raisonnables, de ne pas contrarier l’effort des sans-culottes :

« Monopoleurs de Paris, vous n’avez d’autre parti à prendre que de vous jeter tête baissée dans la sans-culotterie ; avec elle vous n’avez rien à’ craindre et vos propriétés sont assurées. Les patriotes n’exigent de vous que l’effort de ne pas leur nuire. Mais malheur à vous, foutre, si vous continuez de manigancer contre la République, de faire disparaître les denrées et de faire piller ! »

Et ce bon Jésus, ce doux Jésus, ce sans-culotte Jésus, comme Hébert l’enrôle dans les armées révolutionnaires qui vont combattre le fanatisme vendéen ! La citoyenne qu’a entendue le 6 juin l’observateur Dutard, disait : « On parle de Dieu, mais Dieu est de l’aristocratie ». Elle voulait sans doute dire par là qu’à force d’avoir été célébré par les aristocrates pour maintenir le peuple dans le respect stupide, il avait pris lui-même le pli. Hébert, tout au contraire, croit qu’il n’aura aucune difficulté à mettre Jésus de son côté, du côté de la Révolution, compère et compagnon avec le père Duchesne.

Lisez ce qu’on pourrait appeler « l’épître aux Vendéens » :

« Ah ! si le brave sans-culotte Jésus revenait sur la terre, il serait au moins aussi en colère que le père Duchesne de voir de pareils scélérats se servir de son nom pour commettre les plus grands forfaits. « Lisez mon évangile, leur dirait-il, prêtres menteurs, riches sanguinaires, vous y verrez que j’ai toujours prêché la liberté et l’égalité, que je n’ai cessé de défendre les pauvres contre les riches. J’étais, dans mon temps, le jacobin le plus enragé de la Judée ! Aussi les calotins, les juges, les financiers, les nobles et le Capet de mon siècle, qui s’appelait Hérode, ne me virent-ils jamais que d’un mauvais œil. Pendant toute ma vie, consacrée à la vertu et à la bienfaisance, je fus traité d’incendiaire, d’agitateur, de désorganisateur. Enfin, l’infâme tribunal de Ponce-Pilate, le tribunal des Douze d’alors, me chercha une querelle d’Allemand : on m’accusa de conspiration ; des témoins, venus exprès de Normandie pour déposer contre moi, et grassement payés par les pharisiens et les publicains, qui étaient les brissotins de mon pays, me char-