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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/805

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La propriété civile est celle qui naît d’un droit commun et illimité, devenu droit particulier et exclusif. C’est, en ne contraignant pas dans ses justes bornes le droit de cette dernière propriété qu’elle est devenue une source intarissable de perversités et de malheurs pour les peuples.

« En effet, la manière dont nous la trouvons établie n’est propre qu’à perpétuer le brigandage légal, qu’à accumuler la fortune sur quelques têtes privilégiées, au détriment de la multitude, et qu’à exciter les trop justes murmures et la convoitise de celle-ci. De là, ces tiraillements, ces combats d’intérêts divers entre les citoyens ; de là toutes ces passions exaltées qui les agitent et qui les tourmentent si cruellement ; c’est donc à cette dernière propriété que je m’attache dans ce moment comme étant celle qui entraîne avec elle les plus grandes et les plus essentielles conséquences…

« La terre, prise en général, doit être considérée comme le grand communal de la nature, où tous les êtres animés ont primitivement un droit indéfini sur les productions qu’il renferme. Chaque espèce d’animaux a son instinct qui le dirige ; l’homme a de plus la raison avec laquelle il se crée un nouvel ordre de choses, qui est l’ordre social ; dans cet ordre social le droit indéfini doit cesser, sans quoi la société ne pourrait subsister ; mais en échange chaque individu doit y trouver son droit de partage au grand communal, sur lequel il a les mêmes prétentions à former que tous ceux qui l’ont précédé, ou que tous ceux avec qui il marche sur le même rang dans la vie. Nulle loi, nul pacte antérieur n’ont pu l’en dépouiller ; c’est sa légitime de rigueur, dont il a seul le droit de disposer. En user autrement à son égard, c’est annuler envers lui la sanction du partage ; c’est lui rendre, dans toute sa latitude, son droit indéfini sur le communal. Que l’on médite sur les suites de cette dernière conséquence, elles ne souffrent aucune restriction.

« Cette vérité est tellement incontestable qu’elle vient d’être hautement reconnue et consacrée dans la déclaration de la souveraineté populaire. Une génération, a-t-on dit, n’a pas le droit de faire la loi à la génération suivante, et de disposer de sa souveraineté ; à combien plus forte raison n’a-t-elle donc pas le droit de disposer de son patrimoine ?

« De ces principes, contre lesquels je ne vois rien à objecter, il suit évidemment que les nations seules, et, par sous-division, les communes sont véritablement propriétaires de leur terrain, parce qu’elles sont au droit des copartageants et que les générations n’en sont que les usufruitières, ou, autrement dit, qu’elles n’en ont que la propriété viagère ; aussi les hommes ont bien pu régler entre eux cet usufruit, et faire des lois de partage qui leur assurassent à chacun la part qui devait lui revenir, mais ils ont dû s’arrêter là. Jamais ils n’eurent le droit d’entreprendre sur le fonds, de s’en investir et de transmettre le domaine sur le même pied dont ils peuvent disposer de leur usufruit. C’est transiger au delà des bornes et de ce qui n’est point à soi ; c’est s’arroger un pouvoir, une juridiction que rien ne donne, c’est, par con-