Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/850

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non à la France anarchique, qu’elles font la guerre. Enfin, la mollesse de leurs opérations, le décousu de leur ligne, leur éternelle défensive, l’étude particulière qu’ont faite leurs généraux de laisser toujours évanouir les fruits de la victoire et de ne poursuivre aucun avantage, leurs armées toutes successivement battues, deux campagnes perdues, ont porté l’ivresse des Français à la dernière période. La nouvelle de la prise de Toulon a excité des transports de folie dans les armées, on y a joint des fêtes, des hymnes, des orgies ; l’exaltation actuelle passe toute croyance. »

« Vous pénétrerez facilement encore (c’est un mémoire adressé par Mallet du Pan à lord Elgin, le 1er février 1794) combien ce fanatisme belliqueux reçoit d’énergie par le genre de guerre auquel on l’emploie. La tactique du Comité n’est pas compliquée, attaquer toujours et toujours en grandes masses, voilà son thème et nous venons de voir si c’est le bon ; or, des soldats toujours agissants, toujours exaltés par l’espérance d’enfoncer un ennemi plus circonspect et auxquels cet élan ne permet de voir ni de calculer le danger, contractent une habitude de témérité et une ardeur impétueuse à marcher au combat. Célérité et impétuosité sont pour eux les deux éléments de la guerre, éléments parfaitement conformes à leur caractère et à une guerre révolutionnaire. Comment voudrait-on qu’ils redoutassent des ennemis, sans cesse inférieurs, sans cesse culbutés par le nombre, sans cesse enfermés dans un cercle d’opérations défensives, et qui n’ont jamais voulu prendre la peine de leur montrer qu’ils étaient redoutables ? Lorsqu’on voit un général autrichien, retranché derrière quelque redoute, se laisser attaquer trente-cinq fois en cinq semaines, sans aller lui-même une seule fois à l’ennemi, se laisser écraser en détail, forcé ensuite à une déroute qu’on compare à celle de Rosbach, et perdre en cinq jours le prix du sang de la plus belle armée ; lorsque d’une autre part, on voit un sergent d’artillerie (Pichegru) devenu général en chef, ramener chaque jour pendant un mois ses soldats sur les Autrichiens, et finir par un triomphe éclatant, on peut s’attendre à un excès d’enthousiasme dans ses troupes, et à l’opinion la plus exagérée de leur irréductible intrépidité.

« Ainsi, vous avez maintenant à combattre ce qu’il n’a tenu qu’aux généraux et aux cabinets de la coalition d’éviter ; vous avez à combattre ce qui n’existait pas dans la première campagne, et à un faible degré dans le début de la seconde : des armées passionnées aux prises avec les armées des souverains, un peuple soldat fanatisé auquel on oppose des soldats matériels, indifférents à l’objet de la querelle et dont la discipline n’a pas prévenu les défaites. »

Mais comment les armées auraient-elles eu cette confiance et cet élan magnifique si le Comité de Salut public n’avait pas jugé de haut, si au lieu de discerner les mérites et les services, il avait tout sacrifié à une étroite coterie parisienne, empressée d’envahir tous les emplois, et s’il n’avait pas su, par l’unité vigoureuse de gouvernement et d’administration, intercepter les divi-