Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/866

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stitions et d’habitudes. Si une secousse violente peut faire tomber en un jour des épaules de l’homme ce sédentaire fardeau, quelle délivrance ! Comme l’humanité sera libre, et comme l’esprit entrera plus audacieusement dans le mystère du monde quand les formes surannées, traditionnelles, de la croyance auront disparu ! Même les grandes interprétations religieuses de l’univers redeviendront possibles quand elles ne risqueront plus de se confondre, par de superficielles analogies, avec les superstitions du passé ou d’être exploitées par la rouerie de l’Église au profit de sa domination. Après tout, la force peut briser des croyances qui ne furent formées que par l’automatisme ; l’aveugle habitude est aussi une forme de la force, et la brève violence de l’heure libératrice ne fait qu’abolir les effets de la lente et obscure violence des siècles.

Oui, mais l’opération hébertiste ne pouvait réussir ou même être tentée qu’à une condition. Il fallait au moins que l’hébertisme eût pris nettement parti sur la question décisive. Voulait-il simplement taquiner et outrager le culte, ou voulait-il le déraciner ? S’il ne voulait que l’outrager, la tentative était aussi stérile que basse, et s’il voulait le déraciner, il fallait qu’il proclamât bien haut que la liberté des cultes, inscrite dans la Constitution, était un leurre et un péril. Il fallait penser et il fallait dire que la croyance chrétienne, principe de servitude, n’avait pas le droit, de s’affirmer. C’est seulement au nom du droit qu’on peut opérer des révolutions aussi profondes. Si la Révolution n’a pas le courage de dire : « Je ne reconnais pas le droit du christianisme à exister, et j’en écraserai toutes les manifestations, ou collectives ou individuelles » ; si elle ne dit pas cela, la guerre au culte n’est qu’une ignominieuse parade et la plus grossière tyrannie. Or, l’hébertisme ne s’est même pas posé le problème, et il a flotté misérablement de violences démagogiques qu’aucun principe n’ennoblissait à des rétractations dictées par la sottise ou par la peur. Fouché décide, dans le mémorable arrêté pris à Nevers le 9 octobre :

« Article premier. — Tous les cultes des diverses religions ne pourront être exercés que dans leurs temples respectifs.

« Art. 2. — La République ne reconnaissant point de culte dominant ou privilégié, toutes les enseignes religieuses qui se trouvent sur les routes, sur les places et généralement dans tous les lieux publics seront anéanties.

« Art. 3. — Il est défendu sous peine de réclusion à tous les ministres, à tous les prêtres, de paraître ailleurs que dans leurs temples avec leurs costumes.

« Art. 4. — Dans chaque municipalité, tous les citoyens morts, de quelque secte qu’ils soient, seront conduits au lieu désigné pour la sépulture commune, couverts d’un voile funèbre sur lequel sera peint le Sommeil, accompagnés d’un officier public, entourés de leurs amis revêtus de deuil et d’un détachement de leurs frères d’armes.