Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/877

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peut-être avant d’avoir assuré à la France au moins l’embouchure du Rhin. Anacharsis Cloots, que l’esprit de système jetait à l’hébertisme dans la question extérieure comme dans la question religieuse, criait au scandale. Cloots se débattait dans de lamentables contradictions.

J’ai dit quelle était la grandeur de sa formule juridique de la souveraineté du genre humain. Appliquée aux faits avec discernement, elle pouvait tempérer les égoïsmes et particularismes nationaux, préparer une vaste union des peuples, prélude nécessaire de leur unité. Il y aurait eu folie à attendre des effets immédiats de la force l’organisation unitaire du genre humain. Même victorieuse, cette guerre effrénée et universelle n’aurait abouti qu’à une monstrueuse dictature militaire, à un césarisme énorme pesant sur l’univers. Et Cloots disait : « Je consens à ce qu’on ne pousse pas la guerre aussi loin que s’étendra un jour prochain la souveraineté humaine ».

Il se contentait, en attendant, d’agrandir la France jusqu’au Rhin et à l’Escaut. De là, son influence révolutionnaire rayonnerait nécessairement sur le monde. Oui, mais pourquoi faire de l’annexion de toute la rive gauche du Rhin et des bouches de l’Escaut une condition nécessaire de la paix ? Pourquoi proclamer, comme il le fit aux Jacobins le 10 octobre, comme il ne cessa de le répéter dans tous les journaux qui accueillirent sa lettre ouverte aux Bataves et aux Belges, que si ceux-ci n’étaient pas incorporés révolutionnairement à la France révolutionnaire, il n’y aurait qu’une paix honteuse et hypocrite, une paix scélérate, « une paix plâtrée » ?

Si la France est tenue envers tous les groupes révolutionnaires épars dans les autres pays à s’annexer ces pays pour étendre la garantie de la Révolution, pourquoi ne pas incorporer tous les États de l’Allemagne, tous les États de l’Italie ? Et si elle n’est obligée envers les groupes révolutionnaires d’Italie ou d’Allemagne qu’à cette protection indirecte qui résultera pour tous les hommes de la fière autonomie de la France de la Révolution et d’un glorieux exemple de liberté, pourquoi serait-elle contrainte, en tous cas, quelles que puissent être les chances et les combinaisons de paix, à s’annexer Belges et Bataves ? C’est qu’au fond Cloots ne veut pas de la paix, tant que la France révolutionnaire n’aura pas assimilé à elle, même par la force mise au service de l’idée, tous les peuples qui contiennent des éléments de révolution assimilables. Il a dans les forces de la France une confiance indéfinie, inépuisable. Et ce serait une énorme jactance, si Cloots n’était vraiment, et en toute sincérité, possédé par son rêve.

« Tout est grand, colossal, sublime en France. Nous ne comptons que par millions de soldats et par milliards de livres. Il semblerait à chaque recrutement que la guerre commence.

« — C’est bien le moment de nous parler de paix, à nous qui par la réquisition de nos jeunes gens et par le démonnayage de nos assignats, venons de construire deux bastions devant lesquels se briseront tous les efforts de la