Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/882

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quitté Paris pour émigrer, pour offrir les services à la contre-révolution. Tu ne le savais pas ? Apprends-le. Ce sont des hommes nouveaux venus dans la Révolution, mais plus capables, paraît-il, de la servir que toi et moi, qui ont raconté ces choses. »

Sous cette âpre ironie, Hébert, cette fois encore, garde le silence. C’est à fond, c’est sans précaution tortueuse, c’est avec le désir évident, passionné, de sauver cette grande force révolutionnaire, que Robespierre s’engage alors avec Danton. Et sur ce point encore il fait courageusement reculer l’hébertisme.

Enfin, s’il est impossible à Robespierre de surveiller de loin les proconsulats révolutionnaires de Carrier, de Fouché, de Barras, de Collot d’Herbois, s’il lui est impossible à distance de démêler les actes nécessaires de répression des sauvageries inutiles de cruauté et d’orgueil où les hommes se laissaient entraîner, s’il lui est impossible notamment d’entrer en lutte directe contre son collègue Collot d’Herbois et de risquer ainsi une dislocation du Comité de Salut public, du moins il fait connaître par tous les moyens que ni la Convention ni ses représentants « ne doivent multiplier inutilement les coupables ». Il est de plus en plus étroitement et de plus en plus ouvertement lié à Couthon, qui eut tous les courages, excepté celui de verser le sang à Lyon. Il envoie son frère Augustin en mission dans les Bouches-du-Rhône avec des instructions si fermes mais si humaines que bientôt tous les opprimés se tournent vers lui, tous les violentés lui demandent protection, et que le nom de Robespierre devient dans cette région du Midi le symbole de la ferme et clémente justice.

Quand les Marseillais envoient une délégation aux Jacobins pour dénoncer les excès de répression de Barras, Robespierre dit que ce sont de bons patriotes, et qu’ils doivent être entendus. Il envoie Saint-Just à Strasbourg pour mettre un terme à la dictature souvent bouffonne, parfois sanglante, de l’ancien chanoine allemand Schneider. Et là, la politique de Saint-Just est d’autant plus remarquable qu’elle est en contradiction, même avec ce que les journaux dévoués à la Montagne et à Robespierre avaient depuis longtemps conseillé. Qu’on lise, par exemple, les correspondances de Strasbourg au Journal de la Montagne en septembre et octobre 1793 ; on y verra que les citoyens de Strasbourg sont d’un patriotisme révolutionnaire fort tiède, qu’ils sont plus ou moins dévoués à Dietrich et à la vieille bourgeoisie strasbourgeoise, et qu’il faut se servir des « patriotes allemands », pour révolutionner la ville. Je lis, par exemple, dans le numéro du 2 septembre :

« L’énergie de la Société populaire s’est soutenue tant qu’il y a eu à Strasbourg une garnison considérable ; mais cette garnison ayant été affaiblie, les bourgeois-clients ont levé la tête, et la Société populaire a perdu une grande partie de la liberté de ses délibérations. Le mal a été augmenté encore par la permanence des sections. Ruhl, qui jusqu’alors avait paru attaché à la cause