Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/890

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour faire aller les métiers et labourer la terre. Il n’était pas dans l’ordre, non plus, en une société fondée sur la propriété privée et sur la concurrence, qu’un régime de réglementation et de réquisition mît tous les marchands et toutes les marchandises, tous les producteurs et tous les produits sous la surveillance révolutionnaire, sous les pénalités terribles de la loi contre les accapareurs, sous le niveau du maximum. Et pourquoi Desmoulins décompose-t-il ainsi l’immense crise ? Pourquoi veut-il désarmer soudain la Révolution de sa vigueur au dedans, quand il ne peut ni désarmer les quatorze armées révolutionnaires, ni désarmer les lois sur les subsistances ? Une même détente de paix, de liberté, d’humanité, se produira en tous sens par la victoire de la Révolution et cette victoire est-elle assurée en décembre 1793, quand Camille Desmoulins lance ses brûlots de clémence ?

Et à quel moment Desmoulins se risque-t-il ? Au moment même où son opération pouvait le plus compromettre et gêner Robespierre dans la lutte humaine qu’il avait entreprise contre les excès de l’hébertisme et les prétentions de la Commune.

C’est le 29 novembre que Robespierre avait demandé aux Jacobins de procéder à une épuration générale de leur Comité et de la société elle-même. Il voulait éliminer quelques-uns des éléments hébertistes qui des Cordeliers avaient envahi les Jacobins.

La tentative était hardie, car les Jacobins n’étaient pas une société fermée, ils étaient ouverts à tous les mouvements de la Révolution, et les infiltrations hébertistes y étaient profondes. Précisément le jour où Robespierre fait cette motion, c’est Anacharsis Cloots qui préside aux Jacobins, lui que Robespierre voulait exclure. C’est le 3 décembre que Robespierre se solidarise avec Danton. C’est le 4 décembre que la Convention vote la loi qui organise le pouvoir révolutionnaire et qui assure la primauté du Comité de Salut public sur la Commune et sur l’hébertisme. Et c’est au moment où Robespierre a besoin que l’hébertisme, poursuivi par lui, ne soit sauvé par aucune diversion, c’est au moment où il a tendu la main aux dantonistes, c’est au moment où il arme le pouvoir révolutionnaire d’une force légale qui lui permettra d’écraser peu à peu les factions sanglantes et inhumaines, c’est à ce moment que Desmoulins, sous prétexte d’humanité, fournit à Hébert une occasion admirable de reprendre l’offensive, compromet Robespierre solidarisé de la veille avec Danton, en donnant à la politique dantoniste une couleur de modérantisme et de contre-révolution, et neutralise les effets de la grande loi du 4 décembre.

Cette manœuvre soudaine jetait un tel désarroi dans la marche de la Révolution, elle servait si bien les intérêts des royalistes et les intérêts des furieux, c’est-à-dire deux fois les royalistes, l’excès de la fureur devant aboutir au royalisme par l’épuisement, que les contemporains se sont demandé si Danton n’avait pas une sorte de pacte secret avec la monarchie. L’hypothèse