Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/922

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Hébert ne put vaincre son accablement. Mais ni les uns ni les autres n’eurent la hauteur d’esprit d’avouer leur pensée, de justifier leur tentative, de proclamer leur dessein. Ils furent condamnés à mort. Momoro envoya à sa femme un billet d’adieu émouvant et fier :

« Ne garde pas l’imprimerie que seule tu ne pourrais conduire. Élève mon fils à être républicain, comme je le fus et comme je le suis. Je vais tranquille à l’échafaud. »

Le grand Cloots, sur la charrette, avait une sérénité admirable. Il regardait d’un regard bienveillant le peuple immense qui outrageait les vaincus. Qu’importe ! l’idée ne peut mourir ; et la sans-culotterie universelle couvrira un jour le vaste monde heureux et apaisé.

« Ensevelissez-moi sous la verte pelouse. » Il rêvait aux bois, aux prairies que commençait à éveiller Germinal, et où circulait la sève infatigable de la vie, éternelle substance des choses et des êtres.

Toutes les invectives, toutes les insultes, tous les sarcasmes sanglants du père Duchesne remontaient vers Hébert : le flot trouble et sale lui rejetait toutes les ordures qu’à pleins baquets, pendant trois ans, il avait vidées.

« Mets ta tête à la fenêtre, père Duchesne ! Crache donc dans le sac, père Duchesne ! »

C’étaient les muscadins et les contre-révolutionnaires mêlés au peuple grouillant, c’étaient les révolutionnaires aussi, dans une confusion abjecte et lâche, qui soufflaient l’haleine de sa propre bouche à celui qui allait mourir. Hébert pleurait. Quand il fut lié sur la planche, le charpentier aide du bourreau lui frotta le nez de son bonnet rouge. Ces deux âmes étaient de niveau.

Ces exécutions laissaient dans le peuple un grand trouble. Les uns, en petit nombre, persistaient à penser, même après le jugement, que les condamnés étaient innocents. La plupart disaient : Mais à qui donc pourra-t-on se confier maintenant ? Serons-nous toujours trompés ? Ceux qui font des motions modérées sont suspects ; et ceux qui font des motions violentes sont des traîtres qui cherchent à nous éblouir.

On savait gré au Comité de Salut public de sa vigilance, de sa fermeté. Mais on avait l’impression que, pour ne pas se laisser devancer par les conspirateurs, il avait été obligé de systématiser un peu les choses, de forcer les griefs, de transformer en un complot tout formé, tout près d’éclater, ce qui n’avait été peut-être que le rêve incertain encore d’esprits surchauffés. Ce malaise descendait, en quelque sorte, de couche en couche jusqu’au fond de la conscience révolutionnaire, et il allait gâter jusque dans le passé les souvenirs révolutionnaires et les pieuses admirations du peuple. Car enfin, ces hommes qui viennent de monter à l’échafaud, ils se disaient maratistes, et se réclamaient de Marat. Albertine Marat, la sœur du grand mort, leur avait écrit une lettre d’adhésion et de sympathie. Et où se renseignait Marat