Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/944

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plus complète dans ses effets, n’avons-nous pas besoin d’étudier, dans l’histoire de l’esprit humain, quels obstacles nous restent à craindre, quels moyens nous avons de surmonter ces obstacles ? »

Et quelle profondeur sereine dans ses vues sur l’ancien régime ! Comme on y démêle que la Révolution, préparée par tout le mouvement antérieur, n’en est que l’accomplissement ! C’est avec une exactitude nuancée que le philosophe caractérise les gouvernements monarchiques du dix-huitième siècle : « ce genre de despotisme dont ni les siècles antérieurs, ni les autres parties du monde, n’ont offert d’exemple ; où l’autorité presque arbitraire, contenue par l’opinion, réglée par les lumières, adoucie par son propre intérêt, a souvent contribué aux progrès de la richesse, de l’industrie, de l’instruction, et quelquefois même à ceux de la liberté civile. Les mœurs se sont adoucies par l’affaiblissement des préjugés qui en avaient maintenu la férocité, par l’influence de cet esprit de commerce et d’industrie, ennemi des violences et des troubles qui font fuir la richesse ; par l’horreur qu’inspirait le tableau encore récent des barbaries de l’époque précédente ; par une propagation des idées philosophiques d’égalité et d’humanité ; enfin, par l’effet lent, mais sûr, du progrès général des lumières.

« L’intolérance religieuse a subsisté, mais comme une invention de la prudence humaine, comme un hommage aux préjugés du peuple, ou une précaution contre son effervescence. Elle a perdu ses fureurs ; les bûchers rarement allumés ont été remplacés par une oppression souvent plus arbitraire mais moins barbare ; et dans ces derniers temps, on n’a plus persécuté que de loin en loin et, en quelque sorte, par habitude ou par complaisance. Partout, la pratique des gouvernements avait suivi, mais lentement et comme à regret, la marche de l’opinion, et même celle de la philosophie. »

De toute façon une révolution était donc inévitable, soit que les gouvernements hâtant le pas se fussent mis d’accord avec l’opinion et la science, soit que leur lenteur inerte, devenue de la résistance à mesure que le mouvement s’accélérait, eût obligé les peuples à la violence.

Condorcet fait le bilan des deux formes possibles de révolution ; et on ne sait à laquelle il eût donné la préférence ; mais les événements n’ont pas laissé le choix, et il prend magnifiquement son parti de l’orage où il est enveloppé :

« En comparant la disposition des esprits avec le système politique des gouvernements, on pouvait aisément prévoir qu’une grande révolution était infaillible ; et il n’était pas difficile de juger qu’elle ne pouvait être amenée que de deux manières ; il fallait, ou que le peuple établît lui-même ces principes de la raison et de la nature, que la philosophie avait su lui rendre chers, ou que les gouvernements se hâtassent de le prévenir et réglassent leur marche sur celle de ses opinions.

« L’une de ces révolutions devait être plus entière et plus prompte, mais