Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/967

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Ceux qui auront cherché à égarer l’opinion et à empêcher l’instruction du peuple, à dépraver les mœurs, à corrompre la conscience publique… »

Vraiment, avec des délits aussi vagues il n’y avait pas un homme en France, contre-révolutionnaire ou révolutionnaire, que la loi du 22 prairial ne menaçât. Et quelle procédure sommaire ! quelle sanction terrible !

« La peine portée contre tous les délits dont la connaissance appartient au tribunal révolutionnaire est la mort.

« La preuve nécessaire pour condamner les ennemis du peuple est toute espèce de document, soit matériel, soit moral, soit verbal, soit écrit, qui peut naturellement obtenir l’assentiment de tout esprit juste et raisonnable. La règle des jugements est la conscience des jurés éclairés par l’amour de la patrie ; leur but, le triomphe de la République et la ruine de ses ennemis ; la procédure, les moyens simples que le bon sens indique pour parvenir à la connaissance de la vérité dans les formes que la loi détermine.

« S’il existe des preuves, soit matérielles, soit morales, indépendamment de la preuve testimoniale, il ne sera point entendu de témoins ; à moins que cette formalité ne paraisse nécessaire, soit pour découvrir des complices, soit pour d’autres considérations majeures d’intérêt public.

« La loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n’en accorde point aux conspirateurs. »

Ainsi, pas de témoins, sauf les témoins à charge ; pas de défenseurs ; pas de débats : c’était une exécution sommaire. Cette loi de prairial est comme un couteau fantastique, habile à se glisser partout et à s’insinuer comme une ombre, et retrouvant soudain, sur les vertèbres du cou, sa rigidité meurtrière.

Dès maintenant, et en toute hypothèse, Robespierre est perdu. Cette loi démontre qu’il ne suffisait plus à l’immensité du problème et des événements, et que le vide même laissé par la disparition de ses adversaires lui donnait le vertige. Évidemment, s’il a proposé et imposé au Comité de Salut public cette loi atroce, c’est dans l’espoir et la pensée d’en finir vite. Pas de discussions ; rien qui rappelât les scènes du procès des dantonistes ; la mort muette, rapide, étouffante. Robespierre s’est dit qu’après quelques semaines de ce régime il aurait si bien glacé d’épouvante tous les ennemis de la Révolution, et il aurait éliminé si bien tous ceux qu’il appelait « les faux révolutionnaires », qu’il lui serait possible d’introduire enfin un régime normal.

L’excès de la Terreur devait conduire à l’abolition de la Terreur. Robespierre rêva d’intensifier le terrorisme, de le concentrer en quelques semaines effroyables et inoubliables, pour avoir la force et le droit d’en finir avec le terrorisme. À diluer la Terreur, à la prolonger, on risquait d’énerver à jamais la Révolution. Que toute l’épouvante soit ramassée en quelques jours. mort, ouvrière sinistre, dépêche-toi, fais ta besogne en hâte ; ne te repose ni jour, ni nuit ; et quand ton horrible tâche sera faite, tu recevras un congé définitif.