Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/99

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tiques, aux terribles représailles de l’Église, à la fureur de tous les rois compliquée de l’indignation brutale des peuples trompés, aux poignards d’aujourd’hui, aux vengeances de demain, aux calomnies éternelles. Pour tous l’obscur avenir avait des menaces diverses mais égales. Et tous, ceux qui épargnaient, ceux qui frappaient, même s’ils n’avaient pas été élevés au-dessus de la peur par cette grandeur même des événements qui se communique aux consciences, tous ils auraient renoncé bien vite à lui demander conseil, car elle eût été une conseillère ambiguë et incertaine, soufflant à l’esprit ébranlé des desseins contradictoires.

Où était le plus grand péril ? Était-il dans le cynisme violent de quelques forcenés s’agitant en un coin des tribunes ? Était-il dans la haine sournoise et muette du royaliste caché ? Était-il dans les prochaines explosions populaires ? Était-il dans la lente revanche de la contre-révolution ? L’incertitude eût suffi à délivrer de la crainte et les effets de la peur se seraient détruits par leur contrariété même. La légende qui fait des séances du 16 et du 17 janvier le triomphe de la peur, de l’abjecte et immédiate peur physique, est aussi grossière qu’elle est menteuse.

Mais quoi ! les calomniateurs de la Convention oublient-ils par qui elle fut présidée, en cette séance permanente qui dura deux jours ? Barère, ancien président, et Vergniaud, président en exercice, se succédèrent au fauteuil. Or, ni Barère, dont toute la politique était d’assurer l’intégrité morale et la majesté de la Convention, ni Vergniaud qui avait besoin, plus que tout autre, pour la dignité même du vote de mort qu’il allait émettre, que la pleine liberté des décisions fût non seulement certaine, mais évidente et éclatante, ni Barère ni Vergniaud n’auraient accepté de présider à la sinistre entreprise du cannibalisme imposant à la peur blême des arrêts sanglants. Barère aurait protesté par une de ces paroles à la fois méprisantes et mesurées où il excellait et Vergniaud aurait fait éclater sa foudroyante parole. Ils n’eurent pas à dire un mot, et tous les Conventionnels qui votèrent contre la mort, ou qui la votèrent sous condition, purent expliquer longuement leur pensée sans être interrompus par un murmure. Ceux-là seuls provoquèrent des murmures, qui dans l’exposé de leur opinion, quelle qu’elle fût, polémiquaient trop âprement contre l’opinion adverse, comme le fit Desmoulins. Et cela même est un signe de la dignité et de la grandeur de la séance.

Danton marqua quelque impatience des discussions où d’abord, avant d’ouvrir le vote, semblait s’attarder la Convention. Comme on discutait à propos d’un arrêté de la Commune interdisant, pendant la durée du procès, la comédie de l’Amis des Lois, qui pouvait donner prétexte à des manifestations, il s’écria avec sa manière un peu ostentatoire :

« Je l’avouerai, citoyens, lorsque je suis rentré ce matin de la Belgique, je croyais qu’il était d’autres objets qui devaient nous occuper que la comé-