Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/111

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Louis-Philippe et pour rapporteur Quentin-Bauchart, un débutant qui est alors l’homme-lige de son collègue et compatriote. C’est dire qu’elle va être un merveilleux instrument de rancune et de dénigrement contre la Commission exécutive, le Gouvernement provisoire et la Révolution de Février elle-même, coupable d’avoir étouffé dans l’œuf le ministère Odilon Barrot.

Haro d’abord sur les socialistes ! A Proudhon un collègue prête ces paroles néroniennes, que l’accusé a maintes fois démenties vainement, à savoir qu’il est allé place de la Bastille pour voir de près « la terrible et sublime horreur de la canonnade. » On se borne à vouloir le tuer moralement. Mais il faut tuer politiquement Louis Blanc. Il ne peut être accusé d’avoir trempé dans l’insurrection. On ne peut relever contre lui que l’élastique grief de complicité morale. Alors on se rabat sur le 15 mai. Odilon Barrot s’est avoué convaincu que Louis Blanc n’a pas mis le pied ce jour-là à l’Hôtel de Ville. L’Assemblée s’est déjà prononcée une fois à ce sujet ; elle a refusé l’autorisation de poursuites. Eh bien ! elle en sera quitte pour se déjuger ! Dans une séance de nuit, qui se prolonge jusqu’à six heures et quart du matin, sur un réquisitoire du procureur général, jeté soudainement dans la discussion, après une intervention décisive de Marie et de Cavaignac, sans preuve aucune, il est livré à ce qu’on appelle la justice. Mais personne ne se fait illusion. Chacun sait qu’on poursuit en sa personne une doctrine, une opinion, une tendance. C’est le socialisme que l’on met hors la loi.

Puis, vient le tour de Caussidière. Ce que l’on veut atteindre en celui-ci, ce sont les Sociétés secrètes. Le temps n’est plus (il vole avec une rapidité vertigineuse en cette année 1848) où la bourgeoisie lui savait gré d’avoir su faire de l’ordre avec du désordre. Son nom a été invoqué par des insurgés. Crime suffisant ! On veut bien lui épargner le Conseil de guerre en l’innocentant des journées de juin ; mais il sera poursuivi pour le 15 Mai, quoique absous de ce chef une fois déjà. C’en est fait de deux adversaires gênants. Le gouvernement laissera passer en Angleterre, d’où ils ne reviendront plus, ces deux victimes d’un ostracisme renouvelé des Grecs.

On s’attaque en même temps à Ledru-Rollin. Mais il fait tête ; il replace nettement cette enquête politique sur le terrain politique ; il la dénonce comme une revanche de la monarchie déchue contre la République : « C’est la représentation nationale qu’il s’agit de sauver ; car, une fois la fissure ouverte, on ne sait quelles mains violentes pourraient l’entr’ouvrir, la déchirer, pour y jeter l’Assemblée toute entière ». Surtout il se contente de réclamer des institutions sociales qui ne touchent point à l’organisation de la société. On sent derrière lui une bonne partie de la petite bourgeoisie. On n’ose pas lui donner une place dans la charrette des condamnés. Mais le parti réactionnaire a réussi au-delà de ses espérances. Les différents groupes, les principaux chefs du parti républicain ont dû venir se défendre par-devant ceux mêmes qu’ils ont chassés du pouvoir ; ils ont dû consentir que leurs domiciles fussent violés, leurs papiers saisis ; sous le sourire narquois de