Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/118

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veulent conquérir aussi contre l’Université la liberté d’enseignement. Montalembert la présente comme un droit inhérent à la qualité même de citoyen, et ce droit qu’il revendique pour tout individu, il le conteste à l’État. Son discours fut un violent réquisitoire contre l’enseignement public et laïque. Mais il était prématuré. Les orléanistes, encore mal résignés à rentrer sous le joug clérical, regimbèrent, faillirent rompre avec des alliés trop pressés. Les catholiques sentirent la nécessité d’opérer une prudente retraite. Ce fut de Falloux qui, sur la demande de son collègue trop engagé, se chargea de la conduire. Autant Montalembert avait été arrogant et tranchant, autant de Falloux fut humble, modeste, conciliant, patelin. Evidemment Montalembert avait été mal compris. Ses attaques étaient dirigées contre les écoles socialistes, non contre l’Université ; et quant à lui, de Falloux, « jamais il ne porterait la moindre atteinte à l’exercice de sa liberté. » Est-ce qu’on ne savait pas que le pape était plein de bon vouloir pour le peuple ? Est-ce que la religion n’était pas l’alliée naturelle de la démocratie ? Plus tard, à l’amiable, on arrangerait les petits différends qui pouvaient séparer les établissements d’instruction laïque et les maisons d’éducation religieuse. Montalembert retira son amendement. Mais il revint à la charge. Il voulut faire supprimer la surveillance de l’État sur les établissements ecclésiastiques d’enseignement. Il n’obtint pas gain de cause. Seulement dans la Constitution, gros de conséquences et d’orages, demeurait cet article ; « L’enseignement est libre. » Liberté de l’enseignement, liberté du travail, formules jumelles, également élastiques et ambigües, par qui se révèle et se cimente l’alliance de l’Église et de la bourgeoisie. Comme Montalembert se vantait de ne réclamer pour les écoles catholiques rien d’autre que la liberté, Isambert lui cria : « La liberté… avec la main morte… » Il voulait dire que, là où existe l’inégalité économique, la liberté est tout à l’avantage des riches. Il faut garder devant les yeux cette vérité pour rabattre à leur juste valeur certaines prétentions libérales d’alors, comme il faut songer au manque de délimitation précise que nous venons de signaler pour comprendre comment, malgré l’apparence, les droits des citoyens étaient médiocrement garantis par la Constitution.

On voit sans peine que les Constituants firent porter le fort de leur attention sur l’organisation des pouvoirs concédés à la société.

Une première question essentielle se posait. La France resterait elle le pays étroitement unifié, centralisé qu’elle était ? Quelle dose d’indépendance laisserait-on à la vie locale ? Dès le début la question fut tranchée, dans le Comité par la procédure même qui fut adoptée pour la préparation du projet primitif, Odilon Barrot avait proposé, très sagement, qu’on entreprît l’œuvre par en bas et non pas en haut : qu’on établit les fondations avant de songer au faîte de l’édifice ; qu’on déterminât le pouvoir des communes avant de régler les attributions des ministres, préfets et autres organes du gouvernement central. Il avait été vigoureusement soutenu par Lamennais, qui avait