Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/12

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Les masses populaires ne seront pas les seules à s’abuser. Enivrés par la rapidité et l’éclat de la victoire, leurs guides ne seront que trop portés à méconnaître les difficultés de leur tâche pour s’abandonner à une confiance qui touche à la naïveté et pour se bercer de décevantes illusions.

Les « journées » dont les dates jalonnent l’histoire de la seconde République racontent leurs erreurs et de quelle cruelle rançon elles furent payées.

Mais ce serait considérer sous un angle bien étroit les acteurs de ces scènes tragiques et le drame lui-même qu’y voir seulement des erreurs de conduite et de jugement, moins imputables à des défaillances individuelles ou collectives qu’à la soudaineté des événements.

D’autres enseignements, et plus hauts, se dégagent de ce passionnant spectacle.

La proclamation de la République avait éveillé d’immenses espoirs. Une ivresse généreuse s’empara des cerveaux et des cœurs. On eut l’impression que commençait une ère nouvelle.

En quelques mois tous les problèmes politiques et sociaux furent posés, dont la plupart attendent encore leur solution. Avec quel enthousiasme, quel désintéressement, quelle abnégation les Républicains de 1848 luttèrent pour la réalisation de leurs rêves, il faut l’apprendre et en garder pieusement la mémoire.

Aucun souvenir n’est plus propre à relever et à réconforter les courages dans les difficultés et les hasards des luttes quotidiennes ; aucun ne fait plus d’honneur à la démocratie française.

Elle vous sera reconnaissante, mon cher ami, d’avoir en éclairant son passé, jeté sur sa route des lueurs nouvelles.

Affectueusement vôtre.
A. Millerand.