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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/131

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Si nous nous plaçons maintenant au point de vue, non plus de ceux qui rendent la justice, mais de ceux qui la subissent et la paient, l’Assemblée montra peu de sympathie à leur égard. Montalembert et quelques catholiques avaient déposé un amendement portant qu’il serait établi une procédure gratuite en faveur des citoyens dont la pauvreté aurait été constatée ; l’amendement fut retiré. Un autre amendement demandait que tous les dix ans le Code pénal fût révisé pour être mis en harmonie avec radoucissement progressif des mœurs ; il fut rejeté. On avait parlé d’instituer des avocats des pauvres ; on se contenta d’en parler. Les pauvres n’avaient pas la tendresse de l’Assemblée. Un décret du mars avait aboli la contrainte par corps, fermé la prison pour dettes. Crémieux, rapprochant cet acte de l’abolition de l’esclavage, par lequel le Gouvernement provisoire fit des hommes libres comme il avait fait des citoyens avec des sujets, disait : « Nous n’avons pas voulu que cet autre esclavage de tous les jours — qui pèse sur une foule de malheureux — se continuât. » Mais cette diminution des droits seigneuriaux du créancier, prenant, pour ainsi dire, hypothèque sur la personne du débiteur, n’eut pas le don de plaire à la majorité conservatrice. Après les journées de Juin, on revint en arrière. Des pétitions de commerçants demandèrent le retour à la loi abolie. Grévy eut beau alléguer que c’était un reste de législation barbare, un vestige du temps où l’homme pouvait devenir une chose, une propriété ; qu’il fallait y renoncer résolument ou bien reconnaître la liberté de l’homme pour une marchandise jetée dans le commerce ; que cette façon de saisir un être humain comme gage d’une dette était une vengeance plus encore qu’un moyen de se faire payer ; sa protestation fui inutile. La contrainte par corps rentra dans la législation française. Du moins ne fut-elle pas inscrite dans la Constitution ; mais, somme toute, celle-ci, en conservant presque identique à lui-même l’ensemble des institutions judiciaires, maintenait debout une des forteresses les plus importantes de la classe bourgeoise.

Quant à la force publique, elle restait organisée de façon aussi peu démocratique qu’auparavant.

La garde nationale dont la deuxième République vit la grandeur et la décadence, avait gardé le droit d’élire ses officiers ; mais on avait réorganisé son état-major pour le mettre dans la main du pouvoir exécutif ; et on laissait à ce pouvoir le droit de la dissoudre à sa volonté. On essayait de l’utiliser pour la défense de la frontière ; trois cents bataillons, plus parmi elle, avaient été déclarés mobilisables. Protégée par les services qu’elle avait rendus à l’ordre, elle avait encore l’apparence d’être la nation en armes. Elle commençait pourtant à être suspecte, surtout dans les grandes villes.

Pour l’armée, ce n’étaient pas les projets de réforme qui avaient manqué. Des socialistes, Proudhon en particulier, voulaient sa transformation en milices nationales. Sans aller aussi loin, le Comité de Constitution, sur le rapport de