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originelle, d’être née sous le régime de l’état de siège qui ne fut levé que le 19 Octobre.

Ceux qui l’avaient faite ou acceptée la saluèrent du cri de : Vive la République ! Senard, rapporteur du projet de décret qui prescrivait d’en célébrer la promulgation par une cérémonie religieuse et par une solennité nationale, dit avec une satisfaction excessive : « Aucune n’a mieux posé les principes de fraternité. » Puis, le 21 novembre, par un jour maussade et mouillé de neige fondue, sur la place de la Concorde, devant une maigre assistance d’où l’élément populaire était presque absent, deux cortèges officiels marchèrent au-devant l’un de l’autre. Comme le dit un témoin, « les uns allaient proclamer, sous la sauvegarde de cent mille bayonnettes la volonté du peuple, une constitution faite sous les balles, discutée pendant l’état de siège, au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ; les autres allaient bénir ce fruit de la philosophie et de la Révolution au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

Ainsi entrait dans la vie une Constitution équivoque et contradictoire, digne de cet étrange cérémonial ; au point de vue politique, républicaine et démocratique par en bas, grâce au suffrage universel qui lui servait de base, monarchiste par le corps et la tête grâce à la centralisation administrative pieusement conservée et au pouvoir énorme accumulé entre les mains du Président ; au point de vue social, foncièrement bourgeoise par la prépondérance qu’elle laissait à l’argent, maigre de maigres concessions à la classe populaire : Constitution hétérogène et mal bâtie qui aurait pu durer pourtant, si elle eût été appliquée de bonne foi (car une nation peut vivre et se développer même dans une maison mal faite) mais qui, à peine votée, était déjà guettée, menacée, sourdement minée et battue en brèche par ceux mêmes qui l’avaient élaborée.



CHAPITRE XI


L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE, L’EXPÉDITION DE ROME ET LA FIN DE LA CONSTITUANTE


Le premier essai de la Constitution nouvelle fut l’élection présidentielle, fixée au 10 Décembre 1848. Les candidats sont nombreux. C’est d’abord Lamartine. : mais qu’est devenue sa popularité ? Il a été trouvé vide et sonore, verbeux et indécis ; on admire encore l’orateur : on redoute l’homme d’État. Cavaignac, honnête, étroit et dur, avec ses traits d’oiseau de proie et sa physionomie de condottiere du moyen âge, est pour le peuple « le boucher de Juin » ; pour les réactionnaires, l’instrument indocile qui se révolte contre leur domination et qui frappe tour à tour les républicains avancés et les monarchistes. Il fait sans doute des avances tardives aux catholiques, en