Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

est simple : battre le rappel de toutes les forces conservatrices en propageant, grossissant et exploitant la peur du socialisme. En quelques jours il ramasse 200.000 francs de souscriptions pour aider à sauver la société et il entame une campagne destinée à atteindre toutes les couches de la population. Sans parler des journaux et revues, qui continuent leur besogne régulière contre l’infâme qu’il faut écraser, voici pour le peuple trente et une petites brochures commandées à des hommes politiques et à des bravi de la littérature. En quelques semaines 550.000 exemplaires en sont distribués gratis. Le prix courant pour ceux qui veulent les acheter est de dix ou même de cinq centimes. En donner quelques extraits, c’est mettre aux mains du lecteur les pièces du procès ; parfois aussi citer, c’est châtier.

L’une, intitulée : Les Partageux a pour auteur H. Wallon, qui se vante d’avoir été socialiste quelque dix ans plus tôt, d’avoir travaillé de ses bras d’avoir eu faim ; « mais, dit-il, au lieu de maudire la Société, je bénissais Dieu. » Son factum est une série de trois dialogues où un vieux paysan, le père François, réfute et terrasse tour à tour un démocrate, un socialiste et un communiste. Le démocrate propose timidement une réforme des impôts : Si l’on demandait beaucoup à ceux qui ont beaucoup et très peu, ou même rien, à ceux qui ont moins ! Mais le père François ne mange pas de ce pain-là. C’est bon pour les socialistes, les partageux, qui sont des fainéants, des mendiants, des vauriens. L’impôt progressif est la plus stupide immoralité qu’il connaisse ! Qu’on ne lui parle pas non plus, d’éducation gratuite et obligatoire ! C’est une atteinte à la liberté ! On volera les enfants aux parents et on leur enseignera qu’il n’y a pas de Dieu. C’est aussi une façon d’augmenter les contributions. Successivement sont sabrés le divorce, l’élection appliquée à la nomination des magistrats et des officiers, la justice gratuite. Quant aux pauvres, y en a-t-il d’autres que les paresseux et ceux qui ne savent pas économiser ? « Tout état fait vivre son maître. » Le socialiste est plus maltraité encore. On lui assène des vérités comme celle-ci : « Est-ce que c’est possible d’assurer l’existence à chacun ? Toutes les richesses du globe n’y suffiraient pas ». On lui reproche de vouloir faire vivre tout le monde comme des soldats dans une caserne et de croire qu’on peut rendre l’homme meilleur. Quelle absurdité ! L’honnêteté c’est dans le sang ! Et puis quelle folie de vouloir que l’État soit maître de tout ! qu’il réglemente le crédit ! Si l’on paie 8 0/0 d’intérêt dans les villages, on en paie autant dans les villes, et l’on en paiera davantage maintenant que l’on donne vingt cinq francs à des bavards. Il est question de banque agricole… Sottise ! « J’aime mieux m’adresser à mon voisin, s’écrie le père François. Je reste libre, lui aussi. » — Mais c’est le communiste qui est piétiné avec le plus d’acharnement. Il se recommande de l’égalité, de la fraternité. « Nous devons être égaux et frères, lui répond-on, mais en esprit et en vérité, c’est-à-dire dans nos relations morales et religieuses, dans notre vie intellectuelle. Vous autres, vous voulez