Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/154

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en France. Son ton revêche aggrave encore le caractère violemment réactionnaire de ces mesures et explique que la majorité se déplace dans l’Assemblée ; qu’elle passe par intermittences de droite à gauche ; qu’elle vote une loi populaire comme l’abolition de l’impôt sur les boissons ; que la Montagne devienne le noyau de résistance autour duquel se groupent un bon nombre de modérés, s’avisant un peu tard qu’ils ont été complices et dupes des ennemis de la République. Cette fureur de réaction explique aussi que le prince-président perde si vite sa popularité ; qu’il soit bientôt en conflit avec l’Assemblée ; qu’il songe à la jeter par les fenêtres ; qu’il y ait dès la fin de Janvier un projet de coup d’État, dont l’opportunité est discutée par Thiers, Molé, de Broglie ; et que Changarnier, toujours prêt à « étriller la canaille », soit sur le point de reprendre l’opération dans le mois de mai, au lendemain des élections.

Mais dans cette agonie de la Constituante, c’est la question extérieure qui, est la plus brillante. Si nous voulions suivre les perturbations que l’année 1848 provoque d’un bout à l’autre de l’Europe, il y faudrait un gros volume tout entier. Révolution en Allemagne, en Pologne, à Vienne, en Bohème, en Croatie, en Roumanie, en Italie. Partout effort des nationalités opprimées vers leur affranchissement et des couches inférieures de la population vers la lumière et l’égalité ; effort d’abord heureux, suivi d’un raffermissement des vieilles dominations un instant ébranlées, monarchie, armée, Église, propriété. Parmi les grandes puissances européennes, aux deux extrémités opposées apparaissent, d’un côté la Russie, suprême espoir de la réaction, de l’autre la France, « étoile polaire de la liberté ». Entre elles deux, l’Angleterre et la papauté, libérale au début, les gouvernements de Prusse et d’Autriche, penchent et poussent, les unes à gauche, les autres à droite. Mais nous ne pouvons suivre dans son immense étendue la lutte engagée entre la poussée réformatrice et les forces de résistance ; il nous suffira d’y marquer le rôle changeant qu’y joua la France.

Sa politique extérieure, comme c’est le cas dans les démocraties, dépend alors tout entière de sa politique intérieure, et elle traverse trois phases. Jusqu’aux journées de Juin, dans la première ferveur des enthousiasmes républicains, la France entend contribuer à l’émancipation des peuples voisins et, avec plus ou moins de prudence, elle leur promet et leur offre son concours ; puis, ayant comprimé l’esprit révolutionnaire chez elle, elle ne peut ni ne veut plus l’encourager chez les autres, et, tant que Cavaignac est au pouvoir, elle est, sauf quelques velléités éphémères, pour la non-intervention dans les pays étrangers ; depuis l’élection de Louis Bonaparte à la Présidence, la restauration du principe d’autorité allant chez elle jusqu’à menacer la République et même les libertés conquises antérieurement, elle combat chez les autres l’expansion des idées nouvelles et y renforce le grand courant conservateur,