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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/156

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des peuples. Il craignait la formation, sur la frontière des Alpes, d’un royaume italien qui serait un voisin dangereux ; il gardait un dépit assez légitime de l’accueil plus que froid que le roi avait fait à la bonne volonté de la France ; et bien que celui-ci, vaincu, eût dû renoncer à Milan, à Venise, Bastide et Cavaignac s’étaient prononcés pour la paix et avaient abandonné à l’état d’ébauche un essai de médiation franco-anglaise ; ils s’étaient bornés à empêcher l’Autriche victorieuse de dépasser le Tessin,

Leurs rêves d’indépendance ainsi ajournés pour quelque temps, les Italiens s’étaient rejetés du côté de la liberté intérieure. Les projets de réforme politique et sociale avaient pris le dessus. Le pape s’en ressentit vite. Débordé par les revendications de ses sujets mécontents du régime moyen-âge qui se perpétuait à Rome et en Romagne, il avait accordé de mauvaise grâce une Constitution, assisté impuissant à une agitation démocratique et, au mois d’Août, il avait cherché un appui à l’étranger, réclamé de Cavaignac l’envoi de trois à quatre mille hommes de troupes, un envoi que, dès la fin de Janvier, Guizot avait consenti. Mais Bastide ne voulait pas que la République française se fit le gendarme de la papauté ; l’envoi avait été refusé. Le pape alors, contre les conseils de la France, avait pris pour ministre l’économiste Rossi, un ami de Guizot, rude, hautain, sarcastique, qui gouverna dans le sens réactionnaire et fut assassiné le 15 Novembre. Des barricades s’étaient élevées dans les rues de Rome, et le pape avait dû, malgré lui, permettre l’élection d’une Constituante et se laisser imposer un ministère d’opinions avancées.

L’émoi fut grand parmi les catholiques de France en apprenant cette humiliation de leur chef. Une petite minorité de démocrates chrétiens, comme Arnaud de l’Ariège, acceptait la suppression du pouvoir temporel. Mais Montalembert leur disait : « Cela vous portera malheur. » On était à la veille de l’élection présidentielle. On savait qu’elle dépendait en grande partie des catholiques. Cavaignac, approuvé par l’Assemblée, se hâta d’offrir au pape l’hospitalité sur le territoire de la République et de concentrer à Toulon un corps de troupes. Seulement, pendant qu’un ministre accourait à Marseille pour recevoir le Saint-Père, celui-ci s’enfuyait déguisé à Gaëte, sur les terres du roi de Naples qui, depuis le mois de Septembre, avait mérité le surnom de roi Bomba pour avoir fait mitrailler ses sujets et les félicitations du czar pour avoir donné le signal de la contre-révolution. Cependant en France Louis-Napoléon venait d’être élu. Protégé et prisonnier des cléricaux, il avait promis de défendre, non seulement la personne, mais l’autorité du pape ; il avait souhaité au nonce le 1er Janvier la restauration de la puissance pontificale ; Thiers, Molé, le pasteur Coquerel, que Thiers appelait l’abbé Coquerel, s’étaient prononcés dans le même sens. Parmi les ministres se trouvaient Drouyn de Lhuys, pour qui le pape était « la clef de voûte de l’édifice européen », et surtout Falloux, qui écrivait que « la France tressaillerait d’allégresse, lorsque le pied du Saint-Père toucherait son sol » et qui voulait à