Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/173

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d’enseignement : enseignement primaire essentiellement destiné au peuple ; enseignement secondaire s’adressant à la classe moyenne ; enseignement supérieur réservé à une petite élite, en général à ceux qui voulaient entrer dans les carrières dites libérales.

En face de l’Université se dressait l’Église catholique, inconsolable d’avoir perdu le monopole qu’elle avait possédé jadis de distribuer le savoir, continuant à former ses futurs ministres dans ses grands et petits séminaires, mais désireuse de reprendre son empire sur les enfants non destinés aux ordres, aspirant à marquer de son empreinte des élèves voués à la vie laïque, comprenant que l’éducation de la jeunesse contient en germe l’avenir, que, suivant un vers emphatique de l’abbé Gaume :

La férule du maître est le sceptre du monde.

Elle avait, en conséquence, sous le règne de Louis-Philippe, attaqué de deux façons l’Université. D’abord elle avait revendiqué le droit d’enseigner, non seulement pour elle-même, mais pour tout le monde ; elle savait fort bien qu’association privilégiée, riche par ses biens de main-morte et payée en sus par l’État, puissante par son antique organisation et par la prise qu’elle avait encore sur les croyants, elle ne courait aucun risque en face des laïques, isolés, désarmés, privés du droit de s’associer. La liberté d’enseignement était le pendant exact de la liberté de l’industrie réclamée par les patrons. De même que ceux-ci, propriétaires de la terre, de l’argent, des instruments de travail, demandaient qu’on les laissât librement lutter sur le terrain économique avec les ouvriers dénués de tout, même de la permission de se réunir et de se concerter, de même l’Église appelait de ses vœux sur le terrain des idées une lutte où elle ne rencontrerait plus en face d’elle que des individus éparpillés et impuissants à lui résister. C’est contre cette libellé menteuse que Thiers — en ses jours de libéralisme — s’était élevé en disant : « Si le clergé, comme tous les citoyens, sous les mêmes lois, veut concourir à l’éducation, rien de plus juste, mais comme individus, à égalité de conditions, pas autrement. Veut-il autre chose ? Alors il nous est impossible d’y consentir… » Mais, depuis peu, l’Église usait d’une autre tactique ; elle semblait trouver plus avantageux, au lieu de revendiquer la libre concurrence, de réclamer le partage avec l’État du monopole de l’enseignement. Montalembert, qui avait commencé par soutenir avec Lamennais, la thèse de la liberté pleine et entière pour tous, disait en 1845 ; « L’Église n’est pas dans l’État, pas plus que l’État n’est dans l’Église ; ce sont deux puissances collatérales, souveraines, indépendantes, chacune dans son domaine. L’Église est l’alliée de l’État, non sa sujette. » Il s’ensuivait que l’Église voulait être sur pied d’égalité avec le pouvoir civil ; qu’elle entendait participer aux mêmes prérogatives que l’Université. Ces deux conceptions se mêlaient et parfois se heurtaient parmi les catholiques. Les intransigeants voulaient la liberté intégrale, tout ou rien, les autres, moins violents, plus politiques, acceptaient