doute ! Mais où était la profonde coupure qui empêche le retour en arrière ? Pour l’enseignement secondaire, on avait transformé les collèges royaux en lycées, on les avait placés sous l’invocation des grands noms de la littérature ou de la première République ; on introduisait dans leur programme l’histoire de la Révolution. Mais on ne touchait pas à leur organisation ; on ne décidait rien sur le débat pendant entre l’Église et l’Université. Toutefois Carnot ne répudiait pas l’équivoque formule de la liberté de l’enseignement. La gratuité en ce domaine n’était point proclamée ni promise pour un avenir prochain ; seulement, par des examens et des concours annuels, les meilleurs élèves des écoles primaires devaient devenir boursiers, dans des ateliers d’apprentissage, dans des écoles d’arts et métiers, dans des fermes modèles et dans les lycées. Chose remarquable et qui trahissait son éducation bourgeoise ! L’enseignement supérieur était celui qui avait le plus immédiatement attiré la sollicitude du ministre. Il commençait par établir la gratuité à Saint-Cyr, à l’École Polytechnique, à l’École Normale supérieure, petit cadeau à la bourgeoisie pour lequel on n’attendait pas le vote du budget. Il autorisait Ortolan à faire à la Faculté de droit un cours sur les principes du gouvernement républicain moderne. Il modifiait surtout très sérieusement le système pratiqué au Collège de France, qu’il considérait comme un champ d’expériences des innovations pédagogiques. Il entendait y créer « l’étude approfondie de la politique ». — Et certes il y avait une compréhension juste des vrais intérêts d’une démocratie dans cet effort pour analyser et faire saillir, au grand jour les ressorts de l’évolution sociale. Mais l’exécution ne répondait pas à l’intention. Il fondait onze chaires et en supprimait cinq. L’une des chaires supprimées était cette économie politique, occupée par Michel Chevalier. On lui reprochait d’être l’expression d’une seule école chère aux capitalistes, celle du laissez faire, dont les doctrines contestées usurpaient de la sorte une autorité officielle ; pour que la neutralité scientifique de l’État fût respectée, il eût fallu que l’on entendît à côté la cloche contraire, celle de l’économie sociale qui sonnait en faveur des ouvriers. Mais, comme on n’osait pas instituer ce duel d’idées à armes égales, on s’efforçait de remplacer une prétendue science de principes par un relevé et par une histoire des faits et des théories économiques. Le danger était de morceler ainsi, au détriment des vues d’ensemble, un enseignement qui devait passer en revue la structure et la vie des sociétés, de séparer par des cloisons étanches les notions qu’il devait donner sur le mouvement de la population, les mines et manufactures, les travaux publics, les finances, le commerce, connaissances éparses qui ne pouvaient être vivifiées que par leur rapprochement. Aussi prévoyait-il des chaires de portée plus vaste (droit international, histoire des traités, droit privé, histoire des institutions administratives et financières etc.) Mais il les confiait à des hommes qui s’appelaient Lamartine, Ledru-Rollin, Garnier-Pagês, Marrast, qui ne pouvaient
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