Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/205

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demeura immuable. L’Église restait une monarchie absolue où les évêques, sous la suprématie du pape, commandaient souverainement.

Ainsi abritée contre les dangers de schisme ou d’insubordination partant de son sein, elle fut encore renforcée par les faveurs de l’État. Au mois de septembre 1848, une proposition signée par des socialistes comme Considérant, par des catholiques comme Falloux, par des républicains modérés comme Waldeck-Rousseau, demandait que la suspension du travail fût obligatoire le dimanche et les jours fériés ; elle revint devant la Législative, mais ne fut pas discutée, arrêtée sans doute par la bourgeoisie industrielle. En revanche, durant les dernières années de la Deuxième République, on vota d’abondants crédits pour l’entretien des presbytères et des églises. Un rapport adressé au Ministre de l’Instruction publique, à la date du 2 janvier 1851, conclut à l’ouverture pendant plusieurs années d’un crédit de 3,400,O000 francs pour la restauration des édifices diocésains et de 600,000 francs pour leur entretien, afin, dit-il, de « satisfaire au besoin le plus pressant et, plus que jamais pour nous, le plus salutaire. »

Ces années 1849-1851 marquent l’apogée de la domination catholique dans la France du XIXe siècle. Montalembert, dans une brochure qui parut en 1852 (Les Intérêts Catholiques au XIXe siècle), déclare que le catholicisme seul a profité des crises de la société moderne. Cependant peut-on dire que la loi Falloux ait été pour l’Église un triomphe aussi complet qu’elle l’espérait ? Victoire certes, mais victoire à la Pyrrhus, achetée très cher et grosse de lendemains angoissants ! Comparée par Lacordaire à un nouvel Édit de Nantes, à un traité de paix entre l’État et l’Église, cette loi établissait pour bon nombre d’années la main-mise du clergé sur l’éducation de la jeunesse. Toutefois elle laissait subsister l’école laïque, le nom et l’ombre de l’Université. C’était assez pour qu’il se formât, comme on put s’en apercevoir bientôt, deux Frances hostiles, l’une regardant en arrière, l’autre en avant, l’une considérant tout ce qui s’est fait depuis 1789 comme une déviation à la tradition nationale, l’autre voulant au contraire l’application sincère des principes de neutralité confessionnelle proclamés par la Révolution. De la sorte, cette prétendue loi de pacification, destinée, disait-on, à recréer en France l’unité morale au sein des antiques croyances, contenait en germe la division sociale et la guerre civile. Pendant que la classe riche se rapprochait de l’Église et estimait qu’il était de bon ton de se faire voir à la messe, une élite de penseurs bourgeois et la masse du peuple, surtout dans les villes, s’en écartaient avec énergie. C’est qu’en effet l’Église catholique — par la bouche de ses interprètes les plus autorisés — avait rompu ouvertement avec la démocratie et ses espérances. Falloux avait décrété l’éternité de la misère ; il avait prétendu murer la classe pauvre dans sa condition et apposer sur l’issue interdite le sceau de la religion ; il avait dit en s’adressant aux socialistes : « Vous ne voulez pas vous contenter d’améliorer la situation du