Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/221

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nations du vieux monde. Mais toujours subsiste la question brûlante : La Révolution sera-t-elle politique ou en même temps sociale ? Louis Blanc sur ce point est en plein désaccord avec Mazzini. Puis il y a lutte des socialistes d’État, comme Louis Blanc, et des néo-jacobins comme Ledru-Rollin et Delescluze, avec ceux qui, comme Proudhon ou Herzen, veulent réduire à rien le gouvernement. Lutte encore de ceux qui croient à une coopération possible des classes antagonistes, comme Louis Blanc et Considérant, avec ceux qui, comme Marx ou Blanqui, entendent organiser le prolétariat en parti indépendant et ayant son action propre. A Londres, Barthélémy, Domengé, partisans des coups de main, voire de l’attentat individuel, s’opposent de toutes leurs forces à ceux qu’on peut nommer les révolutionnaires gouvernementaux. Pourtant, malgré ces dissidences, une foi et une espérance communes rapprochent tous ces bannis, la foi au triomphe du peuple et de la République, l’espérance d’une révolution que le mirage de l’exil leur fait voir toujours prochaine. Le Nouveau monde, qui est la revue de Louis Blanc, comme le Proscrit et la Voix du proscrit qui sont, tour à tour, les organes de Ledru-Rollin, sonnent contre la réaction le tocsin de la résistance par la force. Sauf du côté de Proudhon, qui une fois seulement se prononce pour l’action révolutionnaire, il vient de cette France du dehors des appels à l’insurrection contre les coups d’État qui se préparent. Les lettres qui traversent le détroit s’efforcent d’organiser dans chaque département un noyau de républicains prêts à se soulever.

Une petite partie de la Montagne (24 contre 84) tient pour cette politique énergique et aventureuse. La majorité, qui voit de près l’affaissement général des courages et qui a pris au Parlement l’habitude des armes émoussées, se déclare pour la résistance légale. Même lorsque le suffrage universel a été mutilé, elle a reculé devant la descente dans la rue ; elle n’a point usé non plus de la démission en masse ; et quoique gourmandée, accusée de lâcheté par les impatients, elle se cramponne à cette tactique de temporisation. Proudhon, dans un de ces articles à l’emporte-pièce dont il a le secret, a traité de blagueurs les révolutionnaires en chambre qui, de l’autre côté de la Manche, prêchent en toute sécurité le recours à la violence. Il conseille au nouveau parti démocrate-socialiste de renoncer à la tradition des cataclysmes et de se cantonner dans la légalité comme dans une forteresse. Et le mot d’ordre adopté est d’attendre patiemment les élections de 1852, où la France doit renommer, presque en même temps, une Assemblée et un président de la République. Parmi les candidatures, il est question de celle de Martin Nadaud, l’ouvrier maçon, alors représentant du peuple. On s’abstiendra de voter jusque-là ; mais alors le suffrage universel reprendra ses droits. La Montagne, dans son compte-rendu public, ajoute que tout doit s’y passer « sans crise, sans désordre ». Elle ne dit pas comment. Selon une formule assez contradictoire, 1852 doit être l’avènement régulier et pacifique