Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/276

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disparu peu à peu, il est juste et nécessaire qu’il y ait aujourd’hui une compensation pour ceux qui trouvent en arrivant au monde le sol et tout ce qu’il porte occupés, envahis, accaparés. Cette compensation, c’est le droit au travail. Comme le dit un autre orateur, le travail, c’est la propriété du pauvre, et il doit être garanti par l’État tout aussi bien que la propriété du riche.

Ceux qui défendent cette thèse font remarquer une contradiction criante : La loi punit le mendiant, le vagabond, l’homme qui ne travaille pas ; elle doit, en conséquence, assurer du travail à ceux qui, voulant travailler, n’obtiennent pas la besogne qu’ils réclament. La loi punit l’infanticide, parce qu’elle considère la vie humaine comme sacrée ; elle doit donc procurer du travail aux parents qui ne peuvent nourrir et élever leurs enfants, si on leur refuse le travail payé qui est le seul moyen d’existence pour ces enfants et pour eux-mêmes. Les prolétaires, dit à son tour Arnaud de l’Ariège, sont astreints à payer l’impôt, surtout celui du sang ; à défendre en cas de danger le sol de la patrie, c’est-à-dire la propriété des riches. Ceux-ci savent bien alors réclamer les bénéfices de la solidarité entre concitoyens ; pourquoi en répudieraient-ils les charges, en répondant aux pauvres qui veulent vivre en travaillant : Devenez ce que vous pourrez !

Les partisans de l’amendement le présentaient comme une conciliation, comme un essai d’accord équitable entre les deux classes qui forment la société. Ils demandaient à leurs adversaires si, oui ou non, ils voulaient fonder une démocratie ou éterniser le régime du privilège. Ils invitaient à inscrire le droit au travail dans la Constitution, non pas comme un engagement à supprimer immédiatement la misère, mais comme une promesse à terme, qui donnerait aux ouvriers le courage et la patience d’attendre qu’on put la réaliser. Mais c’était précisément cette organisation future qui effrayait la partie bourgeoise de l’Assemblée. Elle n’en voulait ni dans le présent ni dans l’avenir. Bien que les socialistes se fussent sagement abstenus de prendre part aux débats, on rappelait à chaque instant que Proudhon avait présenté le droit au travail comme le commencement de la liquidation sociale. Duvergier de Hauranne citait ces mots de Vidal : « Le droit au travail, qu’on le sache ou non, implique nécessairement l’organisation du travail. » On alléguait que Considérant avait dit à peu près la même chose. On prétendait que tout droit reconnu est exécutable sans délai ; et l’on faisait peu à peu dévier la discussion sur le troisième point, la question des voies et moyens.

Elle ne fut pas traitée à fond. Mais Tocqueville et Thiers surtout en profitèrent pour combattre les systèmes socialistes. Ils firent remarquer, non sans raison, que l’État, pour se faire le pourvoyeur des sans-travail de toute profession, devrait avoir en tout lieu sous sa direction des ateliers de tout genre ; qu’il est ridicule d’offrir des terrassements à faire à des bijoutiers ou à des ciseleurs et de mettre la charrue ou le pic du mineur aux mains d’ouvriers élevés à Paris, Mais, ajoutaient-ils, il n’est pas question, n’est-ce pas,