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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/315

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de& déchets de soie, besogne meurtrière, s’il en fut, comptaient 22 à 23 0/0 de phtisiques, quand la moyenne était ailleurs de 4 à 5.

Après de sérieux débats, le travail fut autorisé tacitement dans les couvents, formellement dans les casernes ; rétabli dans les prisons, il pouvait être affermé ou mis en régie. Seulement les produits devaient être, autant que possible, réservés à la consommation de l’État, c’est-à-dire employés, au lieu d’être vendus, aux besoins de l’armée, de la marine, des hospices. En somme, on en revenait à peu près au régime pratiqué avant 1848, à l’exploitation des prisonniers et à leur concurrence ruineuse avec le travail libre. Mais il donnait prise à tant de critiques qu’on songeait à le réformer, quand survint le Coup d’État.


Le marchandage. — Quelques-unes des mesures que nous venons de passer en revue touchaient aux rapports entre patrons et ouvriers. Mais il en est qui s’y attaquèrent plus directement.

Le décret du 2 mars 1848 abolit le marchandage. Ce mot avait, en ce temps-là, un triple sens. Il signifiait d’abord la concession d’une entreprise à un sous-entrepreneur, à un tâcheron qui devient un intermédiaire entre le premier concessionnaire et les ouvriers et qui, naturellement, ayant à se récupérer du prix qu’il a payé, exploite et parfois opprime ceux qui sont sous ses ordres. Cette pratique existait surtout dans l’industrie du bâtiment. Marchandage voulait dire aussi travail aux pièces. On l’appelait alors marchandage piéçard. Enfin, dans le troisième sens, c’était la répartition de la besogne à faire entre des ouvriers associés. Il était, en ce dernier cas, une variété du contrat collectif de travail.

De ces trois marchandages, le premier seul avait été aboli par le Gouvernement provisoire et le décret le disait en termes exprès. Mais, dans les polémiques qui suivirent, on négligea de faire cette distinction. Thiers, dans son livre : De la propriété, argumente tout le temps (est-ce méprise ou habileté peu scrupuleuse ?) comme si l’on avait voulu supprimer le travail aux pièces. En tout cas le marchandage devint une des choses que la réaction bourgeoise s’efforça de restaurer. Ce travail pris à forfait par un sous-traitant, qui en devenait responsable, facilitait singulièrement leur tâche aux gros entrepreneurs. Comme l’abolition en avait été prononcée par le décret qui limitait les heures de travail, on voulut abroger du même coup les deux dispositions. Buffet, dans son discours, déclara qu’il fallait rétablir le marchandage ; sinon, disait-il, c’est interdire aux ouvriers intelligents l’espoir de s’élever, de devenir à leur tour chefs et patrons. Rien pourtant ne fut décidé, peut-être parce qu’on pensa qu’il valait mieux laisser sombrer en silence une disposition chère aux ouvriers. Elle ne fut pas abrogée, si bien que, par un singulier retour des choses, le ministre du commerce, le 10 août 1809, a pu remettre en vigueur un article simplement tombé en désuétude.