Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mobilisées et représentées par des lettres de change, qui ne pourraient être émises qu’à condition d’avoir derrière elle un gage réel et sérieux.

Cette Banque ferait toutes les opérations des banques ordinaires et des Comptoirs d’escompte : émission de papier, escompte des effets de commerce, avancés sur titres — de plus les ventes et achats sur consignation, le crédit sur cautionnement et sur hypothèque, les recouvrements gratuits de créances, la commandite. Elle se contenterait d’une commission de 1 0/0 pour couvrir ses frais généraux ; elle ne chercherait pas à faire de bénéfices. L’État pourrait s’inscrire au nombre des sociétaires, et dans ce cas, il ferait recevoir le papier de la Banque dans les caisses publiques ; en retour, la Banque lui consentirait des avances jusqu’à concurrence de 500 millions,

Proudhon comptait sur cette combinaison pour tuer l’intérêt, pour supprimer la dette hypothécaire, pour amortir la dette publique, pour rendre la douane inutile, pour réduire l’impôt, et, ce qui n’était pas moins important, pour empocher les grèves et chômages, pour transformer peu à peu les propriétaires oisifs, ceux à qui le travail paie une pension sous forme de loyers et de fermages, en travailleurs obligés de produire. Il évaluait à 7 milliards le profit que la nation tirerait de cette Banque nationale.

Mais elle demeura dans les limbes parlementaires où dorment tant de projets ; et Proudhon, renonçant à rien attendre de l’Assemblée, se rabattit sur l’idée d’une banque où l’État n’aurait rien à voir. Il l’appela Banque du peuple.

L’acte de fondation et les statuts de la Société, qui se chargeait de réaliser la Banque du peuple, furent signés le 31 Janvier 1849. Elle a, d’après son fondateur, un but économique, qui est d’organiser démocratiquement le crédit en mettant les instruments de travail à la portée de tous et en leur facilitant l’écoulement de leurs produits. Elle a aussi un but politique, qui est de montrer qu’on peut se passer du gouvernement, donner l’essor à l’initiative populaire, opérer la révolution par en bas à l’aide de la mutualité. La Banque du peuple ne doit donc être ni une banque d’État ni une banque fonctionnant au profit d’une petite compagnie de gros actionnaires ; elle doit rester la propriété de tous les citoyens qui en accepteront les services. Proudhon prévoit un moment où, par le nombre colossal de ceux qui en seront souscripteurs, elle sera dispensée d’avoir un capital de garantie. Mais, pour débuter, elle sera constituée au capital de 15 millions, et ce capital sera formé par des actions de 5 francs, afin de n’exclure aucune petite bourse.

Le papier qu’elle émet se compose de bons de circulation, qui sont des ordres de livraison à perpétuité et payables à vue par tout sociétaire et adhérent « en produits ou services de son industrie ou profession. » Tous les adhérents s’engagent à les accepter en paiements. Ces bons s’échangent sans frais. La Banque devient comme un vaste entrepôt de crédit gratuit et