Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/63

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de se réserver la nomination des ministres. Elle exige que les membres de la Commission exécutive assistent aux séances. Elle se divise elle-même en quinze grands comités permanents qui se chargent de préparer toute la besogne législative. Elle entend diriger la politique.

Les partis avancés observent avec colère ces symptômes qui ne leur disent rien qui vaille. Le journal La Commune de Paris avait déjà écrit, au lendemain des élections : « Si l’Assemblée avance, ce sera le peuple qui l’inspirera. Si elle s’arrête, si elle recule, ce sera le peuple qui fera lui-même sa Constitution. » Les ouvriers du Luxembourg, les anciens détenus politiques déclarent qu’ils ne prendront pas part à une fête de la Concorde que l’on annonce, si bien qu’on est obligé de l’ajourner. On parle vaguement dans certains milieux de jeter les députés récalcitrants par les fenêtres. On songe surtout à peser sur ces provinciaux pour les forcer à voter des lois démocratiques.

Peu à peu le projet se dessine d’organiser une grande manifestation pour leur faire connaître la volonté de Paris. En avant on jette une idée qui doit rallier les sympathies les plus diverses : intervention en faveur de la Pologne, La Pologne est la vieille amie de la France ; chaque année la Chambre sous Louis-Philippe, a émis un vœu platonique pour son affranchissement. Or elle est opprimée plus que jamais ; les patriotes soulevés ont péri exterminés ; les réfugiés partis à leur secours ont été massacrés, traqués ; leurs débris reviennent en piteux équipage. Le moment n’est-il pas venu de sauver un peuple qu’on égorge, de poursuivre sa restauration ? N’est-ce pas appliquer ce principe des nationalités qui remue toute l’Europe ? Les catholiques sont engagés d’honneur à vouloir la résurrection d’un État qui fut le boulevard de la chrétienté. Parmi les plus modérés des représentants, il y a des hommes, tel Wolowski, l’économiste, que leur origine oblige à soutenir la cause de la nation martyre. Sans doute, ce sera le commencement d’une guerre européenne. Mais va pour la guerre ! Elle sera une solution momentanée du problème angoissant qui tourmente la France. Des prolétaires sans travail elle fera des soldats de la liberté. Elle leur donnera de la gloire à défaut de pain. Elle sonnera le glas des vieilles tyrannies. Elle jettera sur le monde une armée de propagande révolutionnaire. Et ici apparaît une liaison imprévue entre la question polonaise et la question sociale. La guerre est un prétexte à mesures extrêmes. Qui sait si elle ne fera pas naître un nouveau Comité de salut public ; si elle ne sera pas le moyen de déterminer, en France et ailleurs, le grand bouleversement d’où sortira une Société rajeunie ?

Assurément c’est un rare spectacle et tout à la louange de la génération de 1848 que celui d’un peuple se soulevant par sympathie fraternelle pour la souffrance d’un autre peuple. Mais les gens sages redoutent ce coup de folie chevaleresque. Bastide, le ministre des Affaires étrangères, dénie à la France le droit de trancher, à elle seule une question européenne, Louis Blanc, Cabet, Raspail virent un danger dans la sommation qu’on veut porter à l’Assemblée. Proudhon la déconseille dans son journal. Barbès et Blanqui hésitent. Ils sont d’avis qu’il ne