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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/92

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lui-même en otage, si l’on craint que les insurgés ne maltraitent la délégation. L’Assemblée reste muette et inerte. Quand elle parle, par la bouche de son président Senard, c’est pour flétrir ces nouveaux barbares et pour crier : « Que veulent-ils donc ? On le sait maintenant. Ils veulent l’anarchie, l’incendie, le pillage ». Ce n’est pas assez. Degousée voudrait qu’on arrêtât les journalistes dangereux et qu’on déportât, sur simple constatation de leur identité, les fauteurs de désordre, et il faut que Duclerc s’y oppose en s’écriant : « Exigez-vous du Gouvernement un Coup d’État ? Il ne le fera pas ».

Le lendemain 24. le Gouvernement, visé depuis si longtemps, est renversé. Sur la proposition de Pascal Duprat et de plusieurs autres, l’Assemblée se déclare en permanence ; Paris, grâce à Bastide et malgré une soixantaine d’opposants, est mis en état de siège, et tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du général Cavaignac. Peu s’en faut qu’on ne prononce la révocation de la Commission exécutive ; on se contente d’accepter sa démission et celle des ministres. Cavaignac, ainsi investi de la dictature, Trélat court lui porter un grand projet qui peut arrêter l’effusion du sang. On lui demande une heure de réflexion, pendant laquelle on fait courir le bruit qu’il réclame 150 millions pour solder l’émeute ; son fils qui proteste est hué, menacé ; lui-même s’en va sans rien obtenir. On ne veut plus autre chose que le recours à la force. Les insurgés sont poussés vigoureusement ; des deux parts beaucoup de bravoure, d’acharnement, de morts ; des généraux, des députés tombent tués ou blessés ; les gardes nationales de province arrivent, beaucoup en étrange équipage, mais animées de fureur contre ces Parisiens qu’on leur représente comme voulant renverser la République et la Société.

Le dimanche 25, tardif effort de pacification. Cavaignac et Senard (est-ce l’effet de leur ambition satisfaite ?) protestent dans une proclamation contre toute idée de représailles et disent aux révoltés : « Venez à nous comme des frères repentants et soumis à la loi. Les bras de la République sont tout prêts à vous recevoir. » Trois millions sont votés par l’Assemblée, à titre de secours aux nécessiteux. Trop tard ! Les passions sont surexcitées jusqu’au paroxysme. On sait que des prisonniers ont été fusillés. On se conte des actes de cruauté auxquels on croit sans contrôle. La presse colporte et envenime ces récits. A la barrière d’Italie, le général Bréa, qui s’est aventuré parmi les insurgés pour parlementer avec eux, et qui a été pris pour Cavaignac, est, avec un de ses officiers, enveloppé, tué. L’archevêque de Paris, Monseigneur Affre, qui essaie de s’interposer, le crucifix à la main, entre les combattants, est frappé d’une balle, partie très probablement du côté des soldats. Mais les barricades succombent l’une après l’autre. Reste le faubourg Saint-Antoine. On essaie de s’entendre. Une trêve est conclue. Les délégués des ouvriers ont une entrevue avec le Président de l’Assemblée qui porte avec eux un toast à la République démocratique et sociale et les conduit à