Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/108

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massacreurs se vantait, auprès du mari détenu à Marseille, d’avoir dans une boîte une oreille de sa femme (Fréron, Mémoire historique sur la réaction royale et sur les massacres du Midi, pièces justificatives, p. 150). Un des prisonniers ayant crié : « Messieurs, je ne suis pas terroriste, je suis marchand de faux assignats » (séance de la Convention du 27 vendémiaire an IV-19 octobre 1795), fut épargné ; un faussaire a toujours eu droit à l’indulgence des cléricaux et des royalistes.

À Tarascon, il y eut plusieurs massacres, notamment le 6 prairial (25 mai) et le 2 messidor (20 juin). Dans l’un d’eux, tandis que le château qui servait de prison et qui est bâti sur une éminence au bord du Rhône, était envahi par la bande des assassins, « des chaises furent placées sur la chaussée qui va de Tarascon à Beaucaire : elles furent occupées par les prêtres réfractaires, par les dévotes, par les émigrés rentrés ; et ensuite, du haut de la tour qui a au moins deux cents pieds, on précipita soixante-cinq républicains sur un rocher où ils étaient moulus, et ces scènes sanglantes étaient couvertes d’applaudissements » (même séance).

On était déjà décidé à Marseille à égorger les républicains enfermés dans les prisons ; mais, avant d’agir, on attendait amicalement de Lyon l’arrivée des très expérimentés compagnons de Jésus. Le bruit de ce projet parvint à Toulon, dont les ouvriers de l’arsenal et les équipages de la flotte avaient fait une ville républicaine depuis que les royalistes étaient patriotiquement partis avec les Anglais. La population ouvrière se souleva, le 28 floréal (17 mai), au cri de : « Mise en liberté des patriotes ! » Elle s’empara du magasin des armes, obtint, le 1er prairial (20 mai), la mise en liberté des patriotes détenus — le représentant Brunel (de l’Hérault), après avoir signé cette mise en liberté, se suicida de désespoir ! — et voulut se rendre à Marseille. Cela donna naissance à la fable des 25 000 hommes, pas un de moins, quittant le Midi pour rétablir la Montagne à Paris, à la croyance erronée que l’insurrection de prairial était le résultat d’une conspiration se ramifiant dans le pays, et au décret d’arrestation contre les anciens délégués de la Convention, Charbonnier, Escudier, Ricord et Saliceti, supposés coupables d’avoir contribué à ce mouvement pour se venger de leur rappel.

Pendant ce temps, les représentants, à la tête d’une petite armée, s’étaient portés de Marseille au devant des Toulonnais. La rencontre eut lieu, le 5 prairial (24 mai), entre le Beausset et Cuges, à environ 25 kilomètres de Toulon. Les ouvriers envoyèrent aux représentants un chirurgien de marine, Briançon, pour s’expliquer et offrir de déposer les armes. Briançon fut fusillé (Fréron, Mémoire, p. 44, note) et ce que les représentants dépeignirent comme une grande victoire fut une affreuse boucherie, ainsi que cela résulte de cette phrase de leur rapport (séance de la Convention du 18 prairial an III-6 juin 1795) : « On ignore le nombre des blessés, quoiqu’il ait dû être considérable, l’ennemi ayant été chargé et sabré par la cavalerie pendant plus