Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/12

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artisans de cette transformation d’avoir laissé faire, alors qu’ils oublient de remonter jusqu’aux vrais coupables jusqu’à ceux qui, privilégiés, ont tout fait pour fomenter ces haines et qui subissent les déplorables effets des sentiments dont ils ont été la cause et qu’il dépendait d’eux de ne pas exciter.

Quoi qu’il en soit, en dehors des chefs royalistes ouvertement rebelles ou conspirateurs que, sous peine d’effondrement, il fallait abattre sans faiblesse, en dehors des exécutions sommaires auxquelles en aucun temps on ne doit jamais pousser, bien au contraire, mais qu’il n’était absolument pas possible d’empêcher, le régime de la Terreur ne saurait se justifier à aucun titre, et il a été, pour le succès final, la pire des fautes. D’abord, par son exagération, frappant les petits comme les grands, ne distinguant pas entre les puérilités d’adversaires platoniques et la rébellion la plus caractérisée, il a préparé une réaction, les excès dans un sens provoquant toujours un mouvement en sens opposé. D’autre part, dressée contre les partisans eux-mêmes de la Révolution, calomnieusement et maladroitement assimilés aux conspirateurs, la guillotine diminuait le parti républicain plus encore par la qualité de ceux qu’elle supprimait que par leur quantité. Ainsi devenue en même temps une menace pour tout le monde, elle rendit tout le monde hostile à ceux qui faisaient alors d’elle leur instrument de règne et opéra contre eux la concentration de tous ceux qui, sans distinction de partis, tenaient simplement à vivre. C’est l’instinct de la conservation qui a préparé Thermidor, instinct déguisé sous des prétextes divers jugés plus avouables.

L’extension, si fâcheuse sous tous les rapports, donnée au régime de la Terreur, son exagération comme moyen de défense et surtout son emploi comme moyen de gouvernement, ont été la conséquence d’un état d’esprit qui a été général dans la Convention, les modérés, les Girondins, en tête, pour cette faute comme pour tant d’autres. Ce n’est que sur le point de savoir quels seraient ceux qui appliqueraient ce régime contre les autres, qu’on ne s’entendait plus. Il y a donc eu, à cet égard, une responsabilité générale. Cependant si, de cette fausse conception de la Terreur, furent responsables et, d’ailleurs, successivement victimes toutes les fractions du parti républicain, ce sont les Jacobins suivant les inspirations de Robespierre, ce sont les amis directs de Robespierre, c’est tout particulièrement Robespierre, qui ont, en dernier lieu, le plus contribué à la double extension, plus ou moins admise par tous, de la Terreur. Cela, les faits le démontrent et la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) suffirait à le prouver.

Les défenseurs de Robespierre affirment que son triomphe eût marqué la fin de la Terreur. Il est très probable, en effet, qu’une fois débarrassé de ceux qui le gênaient, et dont quelques-uns comme Tallien et Fouché étaient, il est vrai, d’abominables coquins, il eût été indulgent pour les autres. Seulement, même si on a raison au fond, ce n’est pas en décimant son parti sous prétexte de l’emporter sur ceux qui ont tort, qu’on le fortifie et qu’une frac-