Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/127

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ment, c’est l’avidité décelée par le passage reproduit plus haut, qui, sous prétexte de frontières naturelles, vont maintenant déterminer les démêlés de la France avec l’Europe, et ce sont ceux-ci qui vont peser déplorablement sur notre évolution intérieure.

La retraite du roi de Prusse fut considérée comme une trahison par le chef de la maison d’Autriche qui était en même temps le chef de l’Empire, François II ; la perspective d’avoir seul à soutenir la cause des rois contre la République ne l’enorgueillissait pas outre mesure. Depuis le combat du 11 frimaire an III (1er décembre 1794)sous les murs de Mayence, les Prussiens d’acteurs étaient devenus spectateurs, et le solo joué par l’armée impériale n’avait rien de particulièrement brillant ; il se composait surtout de silences.

Quelle était la situation des armées françaises ? L’armée du Nord occupait la Hollande ; la conquête de ce pays achevée, l’armée de Sambre-et-Meuse, remontant le Rhin, s’établit de Düsseldorf à Coblenz et, vers le milieu de germinal (dans les premiers jours d’avril), trois de ses divisions, sous les ordres du général Hatry, remplacèrent autour de Luxembourg celles de l’armée de la Moselle appelée à rejoindre tout entière l’armée du Rhin devant Mayence. Une décision du 13 ventôse (3 mars) avait fusionné ces deux dernières armées et placé la nouvelle armée de Rhin-et-Moselle sous le commandement en chef de Pichegru, auquel succédait, à la tête de l’armée du Nord, le général Victor Moreau. Sur le refus, paraît-il, de Pichegru d’être le supérieur de Jourdan, qui restait à la tête de l’armée de Sambre-et-Meuse, ces deux généraux eurent simplement en fait, sans subordination de l’un à l’autre, à combiner leurs efforts. Retenu quelques jours à Paris, ainsi qu’on l’a vu (chap. vii), Pichegru fut suppléé, jusqu’à son arrivée devant Mayence (27 germinal-16 avril) par Kleber qui, selon son désir, rentrait bientôt sous les ordres de Jourdan.

L’Autriche, pendant ce temps, était plus occupée de s’entendre avec l’Angleterre que de faire marcher son armée. De la réussite de ses négociations dépendait pour elle la continuation de la guerre. Le ministre des affaires étrangères qui, depuis la mort de Kaunitz le 27 juin 1794, était le baron de Thugut, parvint enfin à signer à Vienne, d’abord le 4 mai, puis le 20 mai, deux conventions en vertu desquelles l’Autriche s’engageait à tenir 200 000 hommes sur pied moyennant, selon le mot de Hardenberg (Mémoires cités plus haut, t. III, p. 189), des « subsides décorés du titre d’emprunt » de plus de cent millions de francs à la charge de l’Angleterre. Mais, tandis qu’elle attendait, pour entrer en campagne, le résultat des expéditions préparées par celle-ci sur les côtes de l’Ouest et le soulèvement royaliste annoncé, le manque de vivres forçait le maréchal Bender à signer, le 19 prairial (7 juin), la capitulation de Luxembourg.

L’armée française ne profita pas, n’était peut-être pas à même de profiter