Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/249

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à travailler comme des espèces de manœuvres ; aussi les grandes entreprises où tous les genres de travaux étaient réunis sous un seul chef, ne pouvaient guère, les hommes de talent refusant leur concours, rassembler que des ouvriers très ordinaires et menaçaient ruine dès l’origine. Afin de ne pas perdre les avantages de la concentration envisagés surtout sous le rapport de la quantité produite, ce journal recommandait d’avoir plusieurs ateliers correspondant aux divers genres de travaux, indépendants les uns des autres, mais comptant chacun le plus d’ouvriers possible.

On voit que l’ouvrier n’était pas encore courbé sous le joug capitaliste, ainsi qu’il le sera dans la période, non encore commencée, de la grande industrie. Ce fait est confirmé par des démarches de capitalistes auxquelles je faisais allusion à la fin du §7. Les entrepreneurs Mollien, Périer et Sykes, des filatures mécaniques de coton de Saint-Lubin, Saint-Remy et Nonancourt, dans les départements d’Eure-et-Loir et de l’Eure, adressent au Directoire, le 16 messidor an IV (4 juillet 1796), une pétition que reproduit le Journal des arts et manufactures (t. III, p. 411). Ils se plaignent que les ouvriers se permettent de discuter les conditions de travail et de salaire, d’agir en personnes libres de travailler ou non ; « la désertion appauvrit leurs ateliers », Ils gémissent sur « les principes de découragement » qui « sont le résultat de l’insubordination et du vagabondage des ouvriers, et de l’absence des règlements (très conciliables avec un régime libre) qui devraient les attacher à leurs travaux ». Ils demandent « qu’il soit fait un règlement contre l’insubordination et l’avidité des ouvriers, une espèce de code industriel qui concilie, avec les droits qui leur appartiennent comme citoyens français, leurs devoirs envers l’État à qui ils doivent du travail, et envers les manufactures à qui ils doivent l’avance de l’instruction, des matières et du salaire, qui les font vivre par ce travail ». Cela, pour ces messieurs, fait évidemment partie des devoirs de l’homme et des droits du capitaliste, et c’est tout juste s’ils n’exigent pas de remerciements. Ils demandent aussi, d’ailleurs, « que la prohibition la plus sévère écarte de nos frontières et de nos ports toute marchandise de fabrique étrangère, sous quelque pavillon qu’elle se présente ». De notre temps, ces gens-là auraient souscrit au journal de M. Méline. D’autre part, on lit dans le compte rendu de la séance des Cinq-Cents du 25 prairial an V (13 juin 1797) : « Des menuisiers établis à Paris réclament contre la conduite de leurs ouvriers qui, disent-ils, exigent des sommes trop fortes. Ils demandent l’établissement d’une taxe ». La fixation par l’État d’un maximum des salaires, tel était le désir de ces patrons. Si le Conseil passa à l’ordre du jour, nous verrons tout à l’heure le Directoire intervenir par arrêtés contre les ouvriers papetiers et chapeliers.

Qu’on rapproche ces demandes patronales des paroles de Le Coulteux citées à la fin du §7 et on se convaincra que les capitalistes d’il y a cent ans pensaient comme ceux d’aujourd’hui : la réglementation est une chose