Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/278

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Toute l’activité déployée en faveur des céréales et une série de bonnes années aboutirent à ce phénomène de la production capitaliste basée sur le profit au lieu de l’être sur l’utilité, la misère de producteurs résultant de la trop grande abondance des produits et de l’avilissement de leur prix. Alors que le prix des grains avait été élevé à la fin de 1795 (Annales citées, t. Ier, p. 11), d’un rapport sur les prévisions budgétaires de l’an VII (Moniteur du 2e jour complémentaire de l’an VI-18 septembre 1798), il résulte que « la baisse dans le prix des produits agricoles » provenait notamment « de l’abondance de plusieurs récoltes », et que les 100 kilos de blé, qui valaient avant 1789 de 20 à 21 francs, ne valaient pas au delà de 15 à 16 francs « dans la très grande majorité des départements dont la richesse consiste en grains » ; le rapporteur Arnould ajoutait qu’il fallait aussi compter « un cinquième au moins d’augmentation dans les frais de culture », ce qui prouve une amélioration dans les salaires des travailleurs agricoles : tout bien pesé, ceux-ci, comme les ouvriers industriels — nous l’avons vu dans le paragraphe précédent — virent leurs conditions de travail améliorées durant la période révolutionnaire : « Les journées des ouvriers sont à un prix fou », écrit, au début de l’an VI (fin 1797), Dufort de Cheverny qui habitait près de Blois (Mémoires… t. II, p. 368) ; il ajoute un an après (Idem, p. 386) : « pour les journaliers le vin est à trois sols, le pain à deux, les journées à trente ou quarante ».

Voici, sur les prix de vente et de revient, quelques renseignements fournis, en prairial an V (milieu de 1797), par les Annales de l’agriculture. Des chiffres donnés (t. Ier, p. 150) il résulte que les 100 kilos de froment valaient : en 1790, 17 fr. 50 — en 1795, 31 fr. 25 — en 1796, 26 fr. 65. Pour les gages et salaires agricoles (Idem, p. 156), « les prix de 1795 sont à ceux de 1790 comme 39 à 22 », soit une augmentation d’un peu plus des trois quarts ; « l’augmentation de 1796 comparée à 1790 est des trois quarts, car elle est dans le rapport de 38 à 22… Cette augmentation a été d’un seizième au delà de celle du prix du froment en le prenant sur le pied de » 31 fr. 25, « prix le plus haut des deux années de renchérissement… Dans ce moment même, où le froment ne vaut que » 22 francs en moyenne, « c’est-à-dire où il n’est plus augmenté que d’un quart sur 1790, non seulement les domestiques, les journaliers et les ouvriers ne veulent pas servir au prix de 1796, mais ils demandent encore une augmentation… En réunissant les prix, tant des gages et salaires, que ceux de l’entretien des chevaux et voitures et de la valeur des ustensiles et instruments dans les années 1790 et 1796, l’augmentation totale n’est pas tout à fait de moitié en sus ; car elle est dans le rapport de 91 à 52. C’est donc à cela que se borne l’augmentation réelle depuis cinq ans » (id., p. 156-158). Un peu avant, dans son n° 6, du 30 vendémiaire an V-21 octobre 1796 (t. Ier, p. 283), le Journal d’économie publique, de morale et de politique, de Rœderer, disait : « on est content de retirer des terres un produit de deux et demi à trois pour cent ».