Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/300

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contesta amicalement Babeuf, avec des arguments qui n’avaient et ne pouvaient avoir aucune valeur sérieuse, basés qu’ils étaient forcément sur des conceptions dépourvues de réalité. Le 13 pluviôse (2 février 1796), un nouveau procès de presse était, sur la plainte du ministre de la Justice, intenté à Babeuf à propos de son n° 39 que j’aurai à mentionner tout à l’heure au sujet de la question financière ; sa retraite n’ayant pas été découverte, au grand désespoir du ministre Merlin qui s’en plaignait amèrement au bureau central du canton de Paris (Archives nationales, F7, 7160), on arrêtait, le 16 (5 février), sa femme et, pour se venger de n’avoir rien pu tirer d’elle, on la jetait, sous prétexte de complicité, à la Petite Force, rue Pavée, en face de l’entrée actuelle de la rue des Rosiers qui n’était pas alors percée jusque-là. Les patriotes n’avaient pas tardé à comprendre l’insuffisance des réunions soit dans les jardins ou sur les places, soit dans les cafés aussi reconstituèrent-ils, à la fin de brumaire (novembre), une société populaire ; l’organisation définitive eut lieu le 29 (20 novembre), sous le titre de « Société de la réunion des amis de la République ». On se réunissait chez un ami, le traiteur Cardinaux, locataire de l’ancien couvent de Sainte-Geneviève, devenu bien national, dans la salle qui avait été le réfectoire des moines et qui est aujourd’hui la chapelle du lycée Henri IV ; le nom habituel de cette société lui vint du monument près duquel elle siégeait : on l’appela communément « Société du Panthéon ». Le nombre de ses membres, dont beaucoup avaient fait partie des Jacobins, augmenta en frimaire et, dès la fin de ce mois (décembre), les réunions étaient très suivies. On y réclama presque aussitôt l’application du décret attribuant des terres aux défenseurs de la patrie (voir chap, iii et xviii) et, dans son n° 38 (fin de nivôse an IV-janvier 1796), Babeuf mentionnait la pétition rédigée à cet effet.

D’abord bien disposés pour le Directoire, ils se retournèrent contre lui quand ils virent notamment que rien n’était fait pour améliorer la situation de la masse à Paris et enrayer les manœuvres des accapareurs. Trois quarts de livre de pain par tête et par jour, demi-livre de viande tous les cinq jours, telle fut la ration la plus élevée à Paris (Tribun du peuple, n° 40, et recueil d’Aulard, t. II, p. 691) jusqu’au 1er ventôse an IV (20 février 1796), date à laquelle les cartes qui donnaient droit à cette ration, tout au moins à prix réduit, ne furent, en vertu de l’arrêté du 19 pluviôse (8 février), laissées qu’aux indigents. Comme l’écrivait Babeuf dans son n° 40 (5 ventôse-24 février) : « Hélas ! tout le monde est indigent d’après ce régime-ci, excepté la poignée d’agioteurs et de coquins qu’il protège ». Pour les faubourgs, la question des subsistances était l’unique question.

Comme je l’ai déjà noté (milieu du chap. vi), la population ouvrière parisienne, bien que peu portée à la sympathie pour Robespierre, avait constaté que le régime de réaction politique ne lui était pas favorable ; elle en vint à regretter celui qu’elle n’avait pas défendu, et ce regret est persistant.