Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/343

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joignit Vadier, — il avait été arrêté le 15 prairial an IV (3 juin 1796) à Toulouse — parce que sa déportation avait été ordonnée par la Convention le 12 germinal an III (chap. vii), alors que, le 7 floréal an IV (26 avril 1796), sans viser ce décret, le Directoire s’était borné à lui enjoindre « de quitter Paris dans trois jours » après l’y avoir laissé habiter librement, furent conduits au fort de l’île Pelée près de Cherbourg. Vadier devait être remis en liberté le 28 fructidor an VI (14 septembre 1798). Les autres, à l’exception de Cazin qui semble s’être isolé, réclamèrent inutilement, le 26 messidor an VII (14 juillet 1799) et le 24 pluviôse an VIII (13 février 1800), la revision de leur procès (Archives nationales BB3 21). Par arrêté des consuls du 23 ventôse an VIII (14 mars 1800), ils furent placés sous la surveillance de la police à l’île d’Oléron. Nouveau changement en vertu de l’arrêté du 16 frimaire an XI (7 décembre 1802), et, le 6 mai 1806, Buonarroti obtenait de se fixer à Genève, tout en restant toujours sous la surveillance de la police. La dernière étude biographique sur lui est celle de M. Georges Weill (Revue historique, t. LXXVI, p. 241 à 275). Quant à Grisel, le récit dramatique qui le représente provoqué et tué en duel par le fils de Babeuf, est faux ; on en trouve la preuve dans l’Histoire du Directoire de M. A. Granier de Cassagnac, qui a publié (t. II, p. 455 et 456) un extrait de ses états de service provenant des Archives de la Guerre et une pièce établissant qu’il mourut tranquillement à Nantes le 22 juin 1812.

Sachant que, même avant la trahison de Grisel, le Directoire soupçonnait quelque chose et devait, dès lors, être sur ses gardes, sachant que les Égaux, trompés par Grisel, s’exagéraient beaucoup les concours qu’ils espéraient de l’armée, il est bien difficile de croire que, sans la trahison, leur coup de main eût pu réussir. Qui l’aurait appuyé ? La masse paysanne était satisfaite au fond ; la masse ouvrière de Paris, mécontente, sympathique au mouvement, mais rendue apathique par les fatigues du passé et l’absence de ses meilleurs éléments qui avaient été, presque tous, ou pris par les armées, ou supprimés par les répressions, ne songeait plus, dans son ensemble, à lutter. D’ailleurs, en supposant, contre toute vraisemblance, que le coup de main des Égaux eût réussi, leur tentative de « communauté nationale » eût sûrement échoué devant l’insuffisance des choses et la protestation des gens. Ils avaient beau ne pas vouloir l’imposer, ils ne pouvaient suppléer à l’étroitesse des ressources économiques de leur époque et en étaient réduits au rêve, pour la consommation, d’une réglementation parcimonieuse et, pour la production, d’un autoritarisme inacceptable et inapplicable. Ce n’est pas la Conjuration des Égaux en elle-même qui a été importante, ce sont les idées qui l’ont inspirée et qui font d’elle la première tentative socialiste.