Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/353

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du contrôleur des dépenses de l’armée d’Italie écrivant déjà le 7 germinal an IV (27 mars 1796) : « Je regarde dès à présent la caisse comme étant à la discrétion du général en chef ». « Menacé par le général d’être fusillé sur-le-champ s’il apportait aucune entrave à ses mesures, il n’insista plus sur le maintien des principes », lit-on dans un autre rapport qui ajoute : « la volonté du général a remplacé la Constitution » (AF III 185).

L’armistice conclu avec le Piémont, Bonaparte s’était tourné contre les Autrichiens restés seuls et qui, le 13 floréal (2 mai), étaient passés sur la rive gauche du Pô, en avant de Pavie. Après s’être par la peur assuré de la neutralité du duc de Parme, il ordonnait une marche forcée, qui portait, le 18 (7 mai), son armée à Plaisance où, à son tour, elle passait le Pô. Le 20 (9 mai) Beaulieu voulant se retrancher derrière l’Adda, arrivait à Lodi. Le 21 (10 mai), le pont de Lodi qui allait donner lieu à des récits invraisemblables et à des boniments hyperboliques (Bouvier, Idem, p. 530-532), était enlevé ; l’ennemi se repliait sur le Mincio. Les petits princes italiens ne songeant qu’à traiter, Bonaparte avait signé, le 20 (9 mai), une suspension d’armes par laquelle le duc de Parme s’engageait à payer deux millions et à fournir des approvisionnements. Le duc de Modène s’était enfui à Venise ; il envoya un plénipotentiaire qui traitait, le 28 (17 mai), moyennant sept millions et demi en espèces, deux millions et demi de munitions et denrées diverses et vingt tableaux au choix.

Ce que Bonaparte voulait par dessus tout, c’était s’imposer à l’opinion publique ; de là, ses bulletins répétés et ronflants où il se faisait toujours valoir, souvent aux dépens des autres, les vingt et un drapeaux ennemis portés à Paris par Junot, les noms des grenadiers qui avaient passé le pont de Lodi directement transmis aux départements dont ils étaient originaires. Cette audacieuse réclame eut les résultats espérés. En France on ne parla plus que de lui, et le Directoire n’osa pas réagir contre cet enthousiasme habilement entretenu. Il organisa au Champ de Mars, le 10 prairial (29 mai), la fête de la Victoire votée le 17 floréal (6 mai) par les Cinq-Cents et le lendemain par les Anciens ; il ratifia tout ce que Bonaparte avait fait contrairement à ses instructions ; il essaya cependant de réfréner son excessive et inquiétante indépendance. Tout en le félicitant, il repoussa son plan de pénétrer dans le Tirol et l’avisa, par lettre expédiée le 18 floréal (7 mai) et reçue le 24 (13 mai), que l’armée d’Italie était divisée en deux corps : l’un, sous ses ordres, devait agir contre Livourne, le pape et Naples ; l’autre, confié à Kellermann, opérerait en Lombardie ; Saliceti, commissaire du gouvernement, aurait à conduire les négociations diplomatiques. Ce dernier avait été mis, dès le début, près de Bonaparte, parce qu’on savait qu’après avoir été son protecteur, il était devenu, pour des raisons de ménage, paraît-il, son adversaire ; on comptait qu’il le surveillerait. C’était, d’ailleurs, d’après Baudot (Notes historiques sur la Convention, p. 9) « une espèce de Bonaparte en petit, un