Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/406

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ne pensaient à se conformer strictement à ces préliminaires, chacune d’elles tendant à obtenir de l’autre des concessions plus importantes. Le Directoire songeait toujours à la rive gauche du Rhin ; mais les succès obtenus en Italie le poussaient aussi maintenant à vouloir en éloigner l’empereur et à ne le dédommager qu’en Allemagne. Le gouvernement autrichien tenait par-dessus tout à Venise, et relativement moins à s’agrandir en Allemagne, par crainte que la Prusse n’y réclamât à son tour un agrandissement équivalent. Bonaparte, lui, aspirait à recueillir les bénéfices politiques d’une paix qui apparaîtrait comme son œuvre ; persuadé que l’Autriche ne céderait qu’en obtetenant Venise, il était prêt à la lui livrer, malgré l’opposition réitérée du Directoire à l’égard duquel il usa de ses procédés habituels de pression : la menace de sa démission et l’envoi d’argent. Il y eut des lenteurs calculées de la part de la cour d’Autriche qui, après les élections de l’an V, escomptait la prise du pouvoir par les royalistes et qu’entretenait en cette illusion la correspondance de Mallet du Pan. Cependant elle s’était décidée, le 19 septembre, sur la demande du Directoire, à rendre la liberté à La Fayette, Latour-Maubourg et Bureaux de Pusy arrêtés, le 20 août 1792, par les avant postes ennemis lorsqu’ils fuyaient la France débarrassée du roi (t. II de l’Histoire socialiste, p. 1309), enfermés d’abord à Magdebourg, remis ensuite par la Prusse à l’Autriche et jetés par celle-ci dans les cachots d’Olmütz. Ses espérances ayant été déçues, elle se hâta d’envoyer à Udine, où il arriva le 5 vendémiaire an VI (26 septembre 1797), son diplomate le plus renommé, le comte de Cobenzl ; Bonaparte était installé, depuis le 10 fructidor (27 août), à Passariano, à une douzaine de kilomètres à l’ouest d’Udine, et les conférences avaient lieu alternativement dans ces deux villes. Après des pourparlers où Cobenzl et Bonaparte firent preuve d’une égale mauvaise foi, fut signé, daté du 26 vendémiaire (17 octobre), le traité de Campo-Formio, petite localité entre Udine et Passariano. Une heure après la signature du traité, le 27 (18 octobre), à deux heures du matin, Monge et Berthier partaient en poste pour le porter à Paris.

Par le traité ostensible, la France obtenait la Belgique, les îles Ioniennes, Cerigo et les établissements vénitiens en Albanie. L’Autriche recevait l’Istrie, la Dalmatie, les Îles vénitiennes de l’Adriatique et Venise elle-même, dont le territoire, en Italie, était partagé entre l’Autriche et la République cisalpine. Un congrès devait être réuni à Rastatt, dans le délai d’un mois, pour déterminer les conditions de paix avec l’Empire. Par les articles secrets, l’Empire était bouleversé : l’empereur acceptait que la France eût le Rhin pour frontière, de Bâle à Andernach, sauf règlement ultérieur avec les princes de l’Empire dépossédés, et la France consentait à ce que l’empereur prit l’archevêché de Salzburg et une portion de la Bavière, sans avantage correspondant pour la Prusse. Ce traité ne satisfit que Bonaparte qui ne se souciait nullement d’une paix durable. Si le Directoire trouvait qu’elle l’était