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quer des textes que les autres étaient incapables d’élucider. Les tentations étaient grandes ; aux enchères de biens nationaux, un tel homme, même sans manœuvres de sa part, ne trouvait guère de concurrent s’il voulait acheter, et achetait à bas prix ; des valeurs lui passaient par les mains, et les procès-verbaux de ces opérations, qui auraient dû être soumis à un examen compétent et consciencieux, l’étaient tout au plus à une approbation superficielle ; puis, avec de l’argent, on put avoir plus ou moins ouvertement des assignats au rabais et donner ceux-ci au pair à ses créanciers ou à l’État. Ainsi se développa une catégorie nouvelle d’agioteurs au moment où on tonnait le plus contre eux, et on ne fit rien de ce qui aurait pu efficacement prévenir ce résultat.

D’autre part, a écrit M. Aulard dans la revue la Révolution française, du 14 décembre 1899 (p. 508) : « Il ne faudrait pas croire que les comités révolutionnaires ne fussent composés que de bons républicains. La loi voulait que chaque comité fût composé de douze membres et qu’il y eût au moins, pour chaque délibération, sept membres présents. Dans les petites communes rurales où déjà la formation de la municipalité avait absorbé presque tout le personnel capable, comment trouver, en outre, douze ou même sept républicains sincères et éclairés ? Cette condition irréalisable du nombre de douze ou de sept permit à beaucoup d’ennemis de la Révolution de s’introduire dans les comités, le plus souvent sous le masque démagogique, d’y persécuter, comme modérés, les meilleurs patriotes et de se tenir eux-mêmes en sûreté dans un lieu de retraite inaccessible où ils avaient, en outre, l’avantage de nuire à la République par leur outrance. »

On laissa le droit de réquisition personnelle sur les gens et les fortunes à tous ces comités locaux trop aisément portés à obéir à des inimitiés particulières ou à des complaisances prêtant au soupçon, alors qu’un contrôle et une sanction réels doivent toujours être la règle, mais surtout en matière d’argent. En n’organisant pas sérieusement la surveillance et la responsabilité qui auraient été une sauvegarde contre les entraînements de quelques-uns, contre les traîtrises de certains, et contre l’extension à tous d’accusations justifiées seulement pour une minorité, on exposa tous les membres de ces comités et, par suite, tous les Jacobins, à une coalition de cupidités déçues et de haines implacables qui devaient profiter de la première occasion pour se donner carrière.

Dès la fin de fructidor an II (milieu de septembre 1794), on chercha à coups de pamphlets à créer un mouvement d’opinion contre les Jacobins, et tout fut bon à cet effet. Cent trente-deux citoyens de Nantes, républicains modérés, mais nullement complices des Vendéens, avaient été, le 7 frimaire an II (27 novembre 1793), expédiés à Paris dans d’odieuses conditions par le comité révolutionnaire de Nantes qui les accusait d’être fédéralistes et alliés des Vendéens. Après un terrible voyage pendant lequel trente-huit succom-