Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fiées à de francs républicains. Voici, en outre, un fait qui, à tous les points de vue, témoigne contre la Trésorerie, coupable ou d’une négligence inexcusable ou de complicité. Le 10 fructidor an V (27 août 1797), le général Jourdan disait aux Cinq-Cents : « Pendant deux ans, j’ai commandé 150 000 hommes ; eh bien ! je n’ai jamais reçu plus de 10 000 rations par jour. J’étais forcé de procurer le reste à l’armée sur le pays où elle vivait, et cependant, la Trésorerie a constamment payé les 150 000 rations. Entre les mains de qui, passaient-elles ? entre les mains des sangsues publiques, des vampires qui dévorent la substance du peuple et dont les fortunes excessives et le luxe scandaleux attestent l’infamie ». Près d’un an après, le 19 thermidor an VI (6 août 1798), un autre député, Chabert, s’écriait : « Le quartier général des fripons est dans les bureaux de la Trésorerie ». D’autre part, d’après J.-M. Savary, les auteurs du coup d’État du 18 brumaire devaient être « puissamment secondés par les manœuvres de la Trésorerie » (Mon examen de conscience sur le 18 brumaire, p. 42).

Les commissaires de la Trésorerie sont des réactionnaires ; que sont les éminents capitalistes que nous venons de voir à l’œuvre ? Un petit volume de l’an VI, l'Histoire curieuse et véritable des enrichis de la Révolution, nous répond que tous ces individus « maudissent le gouvernement aux dépens duquel ils se sont gorgés de richesses » ; il nous dépeint celui-ci « assez payé pour être patriote » (p. 22) et qui est royaliste, celui-là entretenant « des intelligences avec les conspirateurs royaux » (p. 23), un troisième ayant « volé plus d’un million à favoriser les traîtres et les ennemis de la République » (p. 24). On conçoit combien tous ces spéculateurs de haut vol qui, d’après un autre témoignage, celui de Joubert (de l’Hérault), à la séance des Cinq-Cents du 19 thermidor an VI (6 août 1798), affichaient « le luxe le plus effréné et l’esprit le plus contre-révolutionnaire », tenaient à la guerre, source pour eux de tant de profits. Quant à ceux qui couraient tous les risques de la guerre, nous allons voir ce qui fut fait en leur faveur.

Une loi du 21 février 1793 (art. 5) avait affecté les biens des émigrés, jusqu’à concurrence de 400 millions, au payement des pensions et gratifications dues aux militaires ; le 27 juin 1793, la Convention portait à 600 millions « les récompenses territoriales » réservées sur les biens des émigrés. La loi du 5 nivôse an II (25 décembre 1793), qui ordonnait le prompt jugement des officiers prévenus de complicité avec Dumouriez et Custine, disait (art. 3) : « Les secours et récompenses accordés par les décrets précédents aux défenseurs de la patrie blessés en combattant pour elle, ou à leurs veuves et à leurs enfants, sont augmentés d’un tiers ». Cela faisait donc 800 millions. Un rapport d’Eschasseriaux aîné, fait au Conseil des Cinq-Cents le 22 brumaire an IV (13 novembre 1795), mentionnait (Moniteur du 3 frimaire-24 novembre) « le milliard destiné pour les défenseurs de la patrie ». Crassous reparlait de ce « milliard » dans la séance du 4 frimaire (25 novembre) et, le lendemain, le