Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/463

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des préposés à la fourniture des fourrages dans leur manutention ; on affirmait que les bottes de foin et de paille qui devaient être livrées au compte du gouvernement du poids de 10 livres, n’en comportaient jamais que de 6 à 7, en sorte que le bénéfice des préposés ou de leurs agents secondaires devait être considérable ». Dans un discours déjà cité, Duplantier disait, le 2 fructidor an VI (19 août 1798), au Conseil des Cinq-Cents : « On a vu la plupart de ceux qui doivent surveiller les entrepreneurs de fournitures de nos armées, associés avec eux, ou faire préférer par l’autorité publique ceux qui leur offraient la somme la plus considérable, quelque désavantageuse que fût l’entreprise aux intérêts de la République ». Une circulaire (26 brumaire an VII-16 novembre 1798) du ministre des Finances Ramel constatait que l’arriéré des contributions devait « être plutôt imputé au divertissement des deniers publics, à l’infidélité des percepteurs, à l’insouciance des préposés, à la torpeur des receveurs, qu’aux contribuables » (Moniteur du 8 frimaire-28 novembre). Pour les douanes, le gouvernement était le premier à favoriser des intérêts particuliers au détriment de certains autres et du Trésor public. À la tribune des Cinq-Cents, le 24 thermidor an V (11 août 1797), on dénonçait l’entrée par les ports de Rouen, le Havre et Dieppe, en franchise de tous droits, au profit d’une compagnie privée, de 3 600 quintaux d’étoffes de laine anglaises. On prétexta, sans preuves d’ailleurs, que c’était pour habiller nos soldats ; était-ce une raison « d’exempter une compagnie de payer les droits ?… Il arriverait de ce privilège que nos manufactures ne pourraient soutenir la concurrence avec cette compagnie ». Les employés faisaient des remises comme le gouvernement. Voici ce qui était dit, le 12 prairial an VI (31 mai 1798), à la séance des Cinq-Cents : « Toutes les fois qu’un négociant, soit républicain, soit étranger, veut faire venir ou expédier des marchandises en France, il trouve à la frontière deux hommes ; le premier, le receveur de la douane, qui lui dit : vous me donnerez 50 % de vos marchandises pour les laisser entrer ; et l’autre, qui est l’entrepreneur de la contrebande, qui lui dit : moi, je ne demande que 10 % pour les introduire, en vous répondant de leur valeur… Il est certain d’introduire 95 convois sur 100 ».

Nous avons vu tout à l’heure comment agissaient les officiers d’artillerie chargés de la surveillance à Saint-Étienne. Nos divers agents écrivaient d’Italie (Sciout, Le Directoire, t. IV) : « rien n’est comparable aux abus qui naissent des franchises illimitées que s’arroge tout individu qui tient à l’armée » (p. 20, note) ; ces abus venaient « de la part des chefs et des chefs spécialement » (p. 28) ; l’état-major ayant conclu un marché important, « 250 000 livres ont été distribuées par les entrepreneurs pour témoignage de leur reconnaissance » (p. 20) ; « la corruption est si grande dans cette armée qu’on voit des généraux vous proposer de faire payer des ordonnances d’arriéré parce qu’ils en auront la moitié » (p. 23). « Plusieurs officiers supérieurs