Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/567

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Tandis que l’échec subi le 27 thermidor (14 août) au Conseil des Cinq-Cents par les Jacobins parlementaires allait entraîner dans leurs rangs certaines défections, les modérés, qui ne venaient de triompher que grâce aux voix des partisans des anciens directeurs, se trouvèrent intéressés à ménager ceux qu’ils avaient contribué à renverser le 30 prairial. Ils en arrivèrent tout naturellement alors à défendre contre leurs récents alliés les actes et les personnes qu’avec eux ils avaient dénoncés. Le résultat fut, après de nombreuses séances en comité général, ou comité secret suivant l’expression actuelle, le rejet par le Conseil des Cinq-Cents, le 1er et le 2 fructidor (18 et 19 août), des demandes en accusation formulées contre les anciens directeurs ; celle qui réunit le plus de suffrages fut repoussée par 217 voix contre 214 ; ce vote, comme alors tous ceux qui n’avaient pas lieu par assis et levé, fut secret, et ce mode de scrutin a toujours favorisé les trahisons de ceux qui n’affichent certaines opinions que par intérêt personnel.

Les journaux jacobins, à la suite de ce rejet, redoublèrent leurs attaques contre Sieyès qui inspirait et dirigeait le mouvement de réaction et qui aussitôt fit adresser aux Cinq-Cents par le Directoire un message réclamant une loi contre la presse (4 fructidor-21 août) ; le Conseil ne parut pas pressé de lui donner satisfaction sur ce point. N’obtenant pas cette loi, le Directoire passa outre ; après lui avoir, par un premier arrêté du 16 fructidor an VII (2 septembre 1799), fait ordonner la déportation à l’île d’Oléron d’une soixantaine de propriétaires, entrepreneurs, directeurs, auteurs, rédacteurs de 35 journaux royalistes de Paris ou de la province qui avaient été frappés en fructidor an V en vertu de la loi du 19 de ce mois (chap. xvii, § 1er-), Sieyès lui fit, par un second arrêté du 17 fructidor an VII (3 septembre 1799), ordonner, sous prétexte de conspiration, l’arrestation des « propriétaires, entrepreneurs, directeurs, auteurs, rédacteurs » de onze journaux royalistes ou patriotes, au nombre desquels était le Journal des Hommes libres — le Directoire avait déjà prescrit des poursuites contre celui-ci par arrêté du 1er fructidor (18 août) — et l’apposition des scellés « sur leurs effets, papiers et presses ». Un message justificatif, lu le même jour aux Cinq-Cents, fut accueilli par des murmures ; M. Vandal a dit à tort (L’avènement de Bonaparte, p. 219) qu’il était dirigé « exclusivement contre le péril de droite ». Il attaquait à la fois, au contraire, royalistes et jacobins, les « conspirateurs de toutes les livrées » et dénonçait « l’abus de la liberté de la presse » commis, d’après lui, par ces deux partis qu’il affectait d’assimiler. Le député Briot répliqua que l’arrêté du Directoire était « un acte de la tyrannie la plus indécente ». Tandis qu’on frappait à la fois à gauche et à droite pour mater les patriotes et les royalistes jugés irréductibles, Fouché, qui avait conseillé cet équilibre dans la répression de nature déjà à impressionner les naïfs, avait recours à d’autres moyens pour recruter des partisans en haut et en bas. D’un côté, en fructidor et en vendémiaire, il faisait opérer de nombreuses radia-