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LE CONSULAT

LE BILAN

Le coup d’État du 18 brumaire place devant le développement continu et normal des principes de la Révolution une barrière formidable. C’est l’arrêt brusque de cette Révolution, c’est l’établissement d’une condition sociale générale où les classes auront peut-être un rôle différent de celui qu’elles avaient avant 1789, mais où elles coexistent néanmoins avec les mêmes causes de discorde, puisque les unes ont dupé les autres.

Cependant, comme l’homme qui lentement s’élève pour parvenir à un plus haut sommet se retourne parfois et regarde s’élargir l’horizon devant lui, ainsi, dans ce temps d’arrêt que marque le Consulat, nous verrons s’ordonner l’œuvre de la Révolution française. Des conditions économiques, sociales, l’épuisement des partis de lutte, la réunion dans une vue commune de tous les lassés, de tous les déçus, de tous les ambitieux ont pu favoriser la main mise d’un homme sur le produit du prodigieux effort de dix années, mais la trace de cet effort subsiste. C’est beaucoup parce que l’homme qui accaparait l’œuvre révolutionnaire se donnait comme l’homme de la Révolution qu’il a pu établir un état de stabilité, et c’est dans les matériaux que lui donnait l’histoire de la Révolution qu’il a dû chercher les bases de la reconstitution de l’ordre social. Ainsi la Révolution est arrêtée dans sa marche par le coup d’État du 18 brumaire, mais c’est en quelque sorte pour que soit dressé le bilan de son œuvre. D’ores et déjà, nous pouvons le dire nettement, la Révolution, dans l’instant qu’elle se termine, apparaît comme ayant détruit, — au profit d’une catégorie de citoyens qui par elle ont acquis une liberté qu’ils n’avaient point, des biens qu’ils convoitaient et qu’ils veulent garder à tout prix, — l’ordre qui existait jadis. Cette catégorie de citoyens comprend la masse partout répandue des propriétaires de biens nationaux, des enrichis soucieux de garder leur richesse et, par elle, le pouvoir. La classe jadis dominante, la noblesse, n’est plus qu’un corps mutilé ;